Porsche 935

Très libre interprétation de la 911 Turbo de route, la Porsche 935, basée sur la réglementation sportive du Groupe 5, était destinée à gagner en compétition. Une tâche dont la voiture, apparue en 1976, s'acquitta au mieux avec, pour point d'orgue, une formidable victoire au classement général dans les 24 Heures du Mans en 1979.

Le Groupe 5 propose une réglementa tion à la fois contraignante et d'une libéralité d'autant plus grande que le législateur a laissé de nombreuses failles dans lesquelles les constructeurs ne manquent pas de s'engouffrer. Contraignante, puisque l'automobile doit ressembler à une voiture régulièrement produite et utiliser, outre les mêmes architectures et bases mécaniques, des systèmes de suspension et de freinage de nature similaire, sinon identiques.
Pour construire son bolide, Porsche n'a pas le choix: dans sa gamme des années 70, seule la 911 Turbo (ou 930) est susceptible de répondre à ce cahier des charges. A priori, la conception déjà ancienne de la 911, en particulier la position en porte à faux arrière du six-cylindres à plat, n'offre rien qui puisse inspirer confiance à ceux qui doivent, avec la 935, assurer la transition entre la formidable 917 et la 956 à venir.
Pourtant, la 935 (ou plutôt les 935, car le modèle initial donne naissance à toute une famille) va magnifiquement s'acquitter de sa mission, dans les stridentes modulations du turbocompresseur, l'aboiement rauque du « flat-six » gorgé de puissance et les spectaculaires retours de flamme à l'échappement qui, du Mans à Daytona, illumineront des nuits de légende...

Vraie « Silhouette » et fausse 911!

De la 911 Turbo, on dit volontiers que la 935 n'a repris que la cellule centrale et un morceau de plate-forme ainsi, bien sûr, que l'architecture typique et le fameux sixcylindres à plat opposés deux à deux. Ce n'est pas tout à fait juste car la 935, si elle est évidemment sans commune mesure avec la 930, lui doit beaucoup, ne serait-ce qu'au travers de modèles qui, à l'évidence, la préfigurent. Ainsi, la RSR de 1974, première Porsche à utiliser un turbo - hormis l'expérience tentée avec les 917 K CanAm dont les moteurs 2,2 litres délivraient 490 à 500 ch -, ou la 934, version homologuée en Groupe 4 de la 911 Turbo (alias 930), apparue fin 1974.
Si les leçons tirées de la RSR et de la 934 ont été retenues lorsqu'il fallut concevoir la 935, il est évident que les libéralités officiellement accordées ne laissent pas insensibles les hommes chargés du projet. Si la voiture ressemble de loin à la 911 Turbo originelle, la carrosserie, formée d'un sandwich de fibre de verre et de mousse de polyuréthanne et dont les parties avant et arrière sont moulées d'une pièce - comme il sied à une « bête » de course -, se hérisse d'appendices aérodynamiques, se creuse de prises d'air et s'enfle d'ailes démesurément élargies, qui ne laissent planer aucun doute sur son identité : cette fausse 911 est une vraie « Silhouette » !
Côté moteur, les choses vont aussi loin En effet, si le six-cylindres à unique arbre cames en tête et à deux soupapes ppa cylindre de la 930 sert de point de dépar tout ou presque est revu : bielles en titane pistons spéciaux,. injection spécifique double allumage, sans oublier le gros turb compresseur KKK soufflant à la pression d 1,5 bar, rien ne manque à la panoplie d parfait bolide. Résultat : 600 ch et un couple voisin de 60 mkg, qui permet de conserver une boîte de vitesses à quatre rapports, suffisante compte tenu que cette valeur évite le plus souvent de rétrograder, en dépit de la brutalité de l'arrivée de la puissance. Point noir majeur de la 935, ce temps de réponse trop important est un défaut qui sera en grande partie gommé par l'adoption de deux plus petits turbos.

La K3 s'impose au Mans

Les évolutions sont nombreuses entre 1976 et 1979, deux dates qui cernent la production de la 935 - mais non sa carrière, qui se poursuivra jusqu'en 1981. La plus spectaculaire est sans doute le modèle 19 7 8, dont le moteur, doté de quatre soupape. par cylindre, voit sa cylindrée grimper à 3,2 litres. La K3, dernière version d'un engin à la vie tumultueuse et exceptionnelle, reste sans doute la meilleure. Si chaque génération de 935 (à l'exception de la petite 935-2 de 1 500 cm3 offrant 370 ch, censée gagner dans la catégorie inférieure) connut son lot de réussite, cette K3 de 1979, avec ses 780 ch, apporta un réel sang neuf. Non seulement elle remporta 13 épreuves en Groupe 5 mais, à l'instar de ses plus jeunes « sueurs », elle se permit quelques retentissants exploits sportifs.
On se souviendra tout particulièrement de la victoire enlevée au classement général absolu des 24 Heures du Mans en 1979 par la voiture engagée par l'écurie Kremer et pilotée par deux Américains quasiment inconnus, les frères Bill et Don Whittington, épaulés il est vrai par l'expérimenté Klaus Ludwig... Ce jour-là, une autre 935 K3 est en vedette : elle termine deuxième de la redoutable épreuve, et l'un de ses trois pilotes se nomme Paul Newman!
Ainsi, la 935 a apporté sa pierre à l'édifice qui fait de Porsche, grâce aux 13 succès enregistrés entre 1972 et 1994, la marque qui détient toujours le record des victoires au Mans. Ce qui, on en conviendra, n'est pas son moindre titre de gloire.

Châssis et transmission
Toutes les 935 eurent comme base la cellule centrale en acier de la 91 1. Le moteur restait en porte à faux arrière, et la voiture devait utiliser les principales pièces de fonderie telles que le bloc-moteur, les carters d'embrayage, de boîte de vitesses et de différentiel. La conception des suspensions de la 911 devait également demeurer celle de la 911, avec jambes de force MacPherson et triangles inférieurs à l'avant, et bras semi-tirés à l'arrière. La géométrie du train avant, celle des bras arrière, le système « antiplongée » avant et les voies élargies avaient été développés sur la 911 Turbo (ou 930), qui anticipait ainsi la 935. Sur cette dernière, les barres de torsion furent remplacées par des combinés ressorts-amortisseurs plus légers, avec des ressorts en titane. Sur la 935-77, les points d'ancrage de la suspension avant furent déplacés et des éléments plus légers furent employés. La boîte de vitesses à quatre rapports était assez robuste pour encaisser l'énorme couple de la 935, et le nombre de rapports suffisant en raison de la souplesse générée par ce couple.

Moteur
Le moteur turbo destiné à la 91 1 Turbo (ou 930) fut étudié - sur la base du traditionnel bloc six cylindres à plat opposés deux à deux à refroidissement par air. Ce robuste groupe, entièrement en alliage d'aluminium, fut considérablement modifié lorsqu'il fut installé dans la 935 : si l'arbre à cames en tête par rangée de cylindres entraîné par chaîne était conservé, les bielles étaient en titane; chaque cylindre recevait deux bougies, l'injection mécanique Bosch était spécifique, de même que l'allumage électronique, et le turbo KKK à échangeur air-air soufflait à 1,5 bar de pression. La cylindrée effective de 2 856 cm3 fut corrigée par l'utilisation du turbo et, pour la réglementation sportive, proposait 3 999 cm3. La puissance initiale était de 590 ch, délivrés à 7 900 tr/mn. En 1977, les turbos, soufflant à 1,4 bar, firent grimper la puissance à 630 ch à 8 000 tr/mn. Le moteur fut totalement transformé sur la 935-78, avec une cylindrée effective portée à 3,2 litres. Cette mécanique délivrait, avec une pression éventuellement pot-tee à 1,7 bar, jusqu'à 845 ch.

La 935 conventionnelle de John Fitzpatrick au cours d'une épreuve en 1982.

La 935 de Bob Garretson à Brands Hatch en 1981. L'Américain ne gagnera pas ce jour-là...

En troisième position, la 935 de Schornstein-Grohs dépasse une autre 935 lors des 24 Heures du Mans en 1981, mais des problèmes de turbo la relégueront à la dixième place.

Cette 935 de 1977 est l'un des 13 exemplaires construits cette année-là pour le Groupe 5. Elle termina troisième aux 24 Heures du Mans, pilotée par Ballot-Lena et Gregg, à 180 km/h de moyenne; elle participa également à l'épreuve mancelle en 1978 et en 1979.

En 1978, la version baptisée « Moby Dick » l'emporta dès sa première course, à Silverstone.

Autour de la cellule centrale de la 911, toutes les combinaisons étaient possibles afin d'adapter la carrosserie au tracé d'un circuit.

Le moteur de la 935-77 possédait deux petits turbos KKK et une injection mécanique Bosch, pour une puissance de 630 ch à 8 000 tr/mn.

Le moyeu avant de la 935-78, la jambe de force MacPherson, le triangle inférieur et le frein à disque.
L'avant de la 935 était occupé par le réservoir d'essence et par l'ensemble réservoir-radiateur d'huile.

Une vue arrière du moteur de la 935-76. Comme le moteur d'origine, il était entièrement en alliage d'aluminium mais avec un unique arbre à cames en tête par rangée de cylindres. Le «flat-six», gonflé par un seul turbo KKK, délivrait 590 ch à 7 900 tr/mn. Par la suite, il atteindra 630 ch à 8 000 tr/mn sur la version 1977, avec deux petits turbos réduisant le temps de réponse et, dans certains cas, dépassera 800 ch.

Une 935-78 « Moby Dick » sans la carrosserie arrière. A noter l'armature triangulée du faux châssis supportant le moteur.

Cet éclaté montre une Porsche d'usine portant la livrée du Martini Racing, un modèle 1976 qui, aux mains d'Ickx, de Stommelen et de Mass en particulier, remporta tant de courses cette année-là. Si la conception de base était très proche de celle de la 911 Turbo, le moteur avait une cylindrée un peu plus faible (2 856 cm3, contre 2 993) que celui à partir

duquel il était développé. A noter que les montants du généreux arceau de sécurité se prolongent jusqu'aux arches des passages de roue arrière.
Les versions Groupe 5 étaient construites pour respecter la règle appelée « Silhouette » stipulant que, malgré la libéralité de cette législation, la voiture devait rappeler la forme et respecter l'architecture générale du modèle de base. Les constructeurs exploitèrent ce règlement au maximum, et en particulier ses failles, utilisant notamment ce type d'aileron, qui engendrait une énorme force d'appui.
Derrière le moteur, sous l'aileron, on distingue le turbo KKK dont les premières 935-76 étaient dotées. On voit également le moyeu arrière, le grand frein à disque perforé, avec l'étrier à quatre pistons, et le radiateur de l'échangeur air-air situé devant le passage de roue.
Sur les premiers modèles, les ouvertures sur les passages de roue arrière étaient destinées aux radiateurs des échangeurs.
L'ensemble de la partie centrale révèle les freins à disque à étriers à quatre pistons, le système de suspension MacPherson et la crémaillère de direction. Sous l'armature en croisillon se trouvent le réservoir de sécurité contenant 120 l. de carburant et le réservoir d'huile. A noter, près de la roue avant, le tuyau de ventilation de l'habitacle. La partie centrale du cockpit, tout en acier, était celle de la 911 mais dépourvue d'habillage et renforcée par l'arceau-cage de sécurité en tubes d'aluminium. Les panneaux de carrosserie étaient en fibre de verre et polyuréthanne.

Extrait de "L'atlas des Bolides" des Editions Atlas