Mercedes
300SL | |
Les raisons pour lesquelles certains modèles d'automobile prennent une
importance considérable restent souvent mystérieuses. Avec le recul,
elles peuvent ne plus mériter pareille réputation, et celles qui
restent dans les mémoires comme de magnifiques créations peuvent
devenir, avec les années, des machines sans grand intérêt
alors qu'elles suscitent toujours une admiration sans limite.
Parmi ces modèles,
la Mercedes 300SL a une place à part. Elle reste dans l'Histoire l'éternel
« papillon », en raison de ses portes qui se relèvent à
l'horizontale comme des ailes. Cette disposition existait déjà (notamment
sur des avions), mais elle est imposée ici par la conception tubulaire
du châssis qui comporte obligatoirement des structures en poutre creuse
dans les flancs si volumineuses, que des portes ouvrant normalement sont exclues.
La seule option possible consiste à relever les portes verticalement.
Naturellement, les portes papillon ne sont pas la seule originalité qui
a fait de la 300SL une classique. En son temps, c'est dans plusieurs domaines
le résultat d'une pensée innovatrice qui se révélera
souvent payante en compétition. En outre, ses lignes sont si belles que
le marché américain, entre autres, en réclamera une version
décapotable, ou roadster, autre source de sa réputation et de son
succès.
Tout en faisant mieux sur le plan sportif que d'autres Mercedes
de route précédentes, la 300SL respecte une sorte de tradition.
Elle utilise de nombreux organes empruntés aux modèles courants
et procède de la même philosophie de base que beaucoup d'autres voitures
rapides de son époque : un moteur généreux en puissance et
des roues arrière motrices.
Le moteur provient de la berline standard
300, mais il est incliné de 40° vers la gauche afin d'abaisser le centre
de gravité et la ligne du capot. C'est un lourd six-cylindres en ligne,
non exempt de vibrations et, pour résoudre en partie ce problème,
un gros amortisseur de vibrations est monté à l'avant du vilebrequin.
Initialement,
ce moteur de trois litres donne 115 ch, mais peu à peu, sa puissance atteindra
240 ch, notamment avec l'injection à la place des trois carburateurs du
début.
Lorsque Mercedes reprend la construction automobile après
la guerre, il n'est pas question d'un programme visant à renouer avec les
grands triomphes d'avant 1940. La plupart des efforts sont concentrés sur
la rentabilité de l'entreprise, en vue d'assurer sa survie. Le développement
d'une voiture de Grand Prix est inimaginable, notamment pour des raisons économiques.
Mais on peut envisager la production d'une voiture de sport à partir des
organes d'un modèle standard et c'est ce qui est décidé.
Le moteur 300S, le train avant et le pont arrière sont installés
dans un châssis en treillis tubulaire très bas, à la fois
léger et très rigide. Comme le moteur 300S est facile à améliorer,
175 ch sont obtenus grâce à un nouvel arbre à cames, à
d'autres carburateurs et à diverses opérations d'allègement
et de préparation.
Le nouveau modèle est baptisé 300SL
pour Sport Leicht (léger). Ses débuts dans les Mille Miglia 1952
se traduisent par une deuxième et une quatrième place. Le Grand
Prix de Berne apporte un triplé victorieux, et trois voitures sont engagées
au Mans cette année-là. L'une d'entre elle abandonne, mais les deux
autres finissent première et deuxième. Ce résultat est répété
lors de la terrible Carrera Panamericana, au Mexique, ce qui vaut à la
voiture une intense publicité aux États-Unis et son succès
définitif. La 300SL a rempli sa mission : prouver aux yeux du monde que
Mercedes est redevenu un grand constructeur mondial.
La firme envisage alors
la construction d'une véritable voiture de Grand Prix, mais le projet est
repoussé. Max Hoffman, importateur Mercedes à New York, se passionne
tellement pour la 300SL qu'il en commande 1 000 exemplaires pour l'Amérique,
obligeant Mercedes à consacrer toutes ses ressources de main-d'oeuvre à
cette production.
Exposé pour la première fois à New York
en 1954, le modèle de série diffère sensiblement de la 300SL
de compétition antérieure. Ses formes de carrosserie sont un peu
plus arrondies, mais la silhouette de base et les portes papillon sont conservées.
La carrosserie et la structure du châssis sont renforcées, avec une
masse augmentée de près de 400 kg. Mais le gain de puissance permet
de maintenir le niveau des performances. Elle sont dues, entre autres choses,
au remplacement des trois carburateurs par l'injection qui apporte aussi une réduction
de consommation et une plus grande fiabilité. Mercedes a déjà
appliqué l'injection aux moteurs d'avion mais c'est une innovation sur
un moteur d'automobile.
Comme modèle de sport d'utilisation courante,
la 300SL n'obtient pas totalement l'aval des Américains. Son pont arrière
à simple articulation (essieu brisé) est capricieux et susceptible
de poser des problèmes de tenue de route. La voiture peut en effet décrocher
soudainement par suite des variations brutales de voie et de carrossage à
l'arrière causées par cette solution. Le comportement dynamique
du roadster est amélioré par le montage d'un ressort compensateur
horizontal qui limite les débattements relatifs des demi-arbres sans trop
handicaper le confort. Quant aux portes papillon, elles n'ont rien de pratique
pour la circulation en ville. Dans les parkings, elles risquent de heurter les
voitures voisines à l'ouverture. Ces mêmes portes, dont les seuils
sont trop élevés, obligent les femmes à montrer « trop
de jambe » pour les franchir, ce que la moralité de l'époque
réprouve en suscitant un certain nombre de protestations de la part des
Américaines confrontées au problème. En 1957, la 300SL donne
lieu à un roadster, ou cabriolet, qui obtient un certain succès
aux États-Unis, mais ses ventes sont moins significatives que sa réputation
de grande classique.
Contempler une 300SL est une expérience. La logique
de ses lignes et l'harmonie de leur effet visuel sont une source d'intenses satisfactions.
La piloter est, en revanche, une autre affaire. La première fois que j'ai
pris le volant, au début des années 1960, il s'agissait d'une vieille
voiture de sport, ou du moins bien usagée. Par conséquent, je n'ai
jamais ressenti cette sensation de puissance qui a ravi tant de monde quand le
modèle est sorti. À mes yeux, c'était une relique.
Plusieurs
années plus tard, j'ai eu la chance d'essayer l'une des 300SL de la collection
Mercedes. Cette fois encore, l'expérience n'a guère apporté
le frisson espéré. Elle m'a donné l'impression d'être
un engin bricolé inconfortable, doté d'un moteur de camion rugissant
avec peine sous le capot. L'accélération provoquait un bruit d'admission
évoquant d'inquiétants grognements de fauve.