Jaguar
XJ13 | |
Une trentaine d'années séparent les victoires acquises au Mans par les Type C et D et celle d'une XJR9 en partie construite par des artisans spécialisés. Pourtant, Jaguar écrivit en 1966 un autre scénario, réfuté par l'Histoire. Portrait de la XJ13, la plus mystérieuse des « filles » de Coventry.
Au
mois d'août 1964, un curieux VI 2 tourne au banc d'essai de l'usine Jaguar.
Il ne s'agit pas du futur moteur de la Type E douze cylindres. Cette mécanique-là
est élaborée à partir de deux blocs XK six cylindres double
arbre directement issus de la Type D, reliés par une embase commune. L'ouverture
du « V » est fixée à 60°, disposition classique
sur ce type de moteur.
Claude Bailey - qui avait envisagé, bien des
années auparavant, la construction d'une mécanique identique dont
certains traits se retrouvent sur ce groupe inédit - obtient un douze-cylindres
à quatre arbres à cames en tête, injection mécanique
et allumage électronique de 5 litres de cylindrée, pesant moins
de 300 kg grâce à l'utilisation systématique de l'aluminium.
Selon les réglages, ce moteur développe de 460 ch à 7 000
tr/mn à 502 ch à 7 600 tr/mn, et l'on compte obtenir, à terme,
environ 550 ch vers 8 500 tr/mn!
Taillée pour les Hunaudières
Car
la XJ13 n'est pas destinée à la route. Il s'agit de l'ébauche
d'une automobile devant replacer Jaguar sur l'échiquier du Championnat
du inonde des Sport-prototypes, qui met alors aux prises Ferrari, Ford, Lola et
Porsche.
Un engin qui se situe dans le droit fil d'une tradition abandonnée
quelques années plus tôt avec les ultimes Type D.
La filiation
avec cette dernière est évidente, car c'est Malcolm Sayer qui a
dessiné l'« ancêtre» et la nouvelle. Avec le même
bonheur, au niveau tant aérodynamique qu'esthétique. La XJ13 se
présente sous la forme (superbe!) d'un prototype à moteur central
arrière, dont l'originalité est de proposer des lignes parfaitement
semblables à l'avant et à l'arrière d'un cockpit également
traité de manière symétrique. Le vaste parebrise se prolonge
vers l'arrière par une bulle translucide qui dévoile l'intégralité
de la mécanique. En dépit des lignes élancées, les
dimensions sont extrêmement compactes. La XJ13 frôle 280 km/h, mais
une démultiplication finale plus conséquente est prévue,
qui doit permettre à la voiture de dépasser 330 km/h. Car c'est
dans la légendaire ligne droite des Hunaudières, au Mans, qu'est
censée s'exprimer la belle XJ13.
Victime de la réglementation
Structurellement,
la Jaguar XJ13 est remarquablement conçue : des longerons en aluminium
avec caissons latéraux reliés par des traverses forment un léger
ensemble tubulaire, renforcé par un plancher également en tôle
d'aluminium. Le tout constitue un châssis extrêmement rigide, dans
lequel le moteur et la boîte jouent un rôle porteur à l'arrière,
alors qu'un bâti tubulaire supporte les éléments de suspension
à l'avant.
La solidité de la XJ 13 est testée en février
1971 par l'essayeur maison Norman Dewis en vue chi tournage d'un film publicitaire
destiné à la présentation (le la Type E V12 lors du salon
de Genève. Une rosie casse et, après une impressionnante cabriole,
la XJ 13 se retrouve à l'état d'épave... Pourtant, lorsque
Lofty England, qui vient de succéder à sir William Lyons à
la tête de jaguar, décide de faire réparer la voiture, on
se rend compte que la structure n'a quasiment pas bougé.
La XJ13 originelle
n'a pas de descendance. Prévue pour succéder à la Type D
au palmarès des 24 Heures du Mans, la voiture est victime d'une double
malédiction, comme si le chiffre retenu pour la désigner justifiait
sa sinistre réputation... D'abord, Jaguar entre en 1967 dans le giron du
groupe British-Leyland, où l'on considère la compétition
avec la plus extrême réserve. Ensuite, et surtout, la CSI (l'autorité
sportive de l'époque) change la réglementation : la cylindrée
des Sport-prototypes est limitée à 3 litres et, si les 5-litres
Sport sont acceptées, c'est à l'unique condition d'être produites
à 25 exemplaires au moins. Jaguar ne peut se permettre cette coûteuse
fantaisie.
La XJ13, assemblée en 1966 puis reconstituée après
sa mésaventure de 1971, demeure ainsi l'unique témoignage du savoirfaire
de l'équipe Heynes-Bailey-Sayer.
Au volant de la XJ13 : Un prototype inachevé La
Jaguar XJ13 n'ayant été construite qu'à un seul exemplaire,
et son développement arrêté avant l'heure, rares sont ceux
qui ont réellement cerné le potentiel de la voiture. Norman Dewis
est celui qui, avec le pilote professionnel David Hobbs, a le plus roulé
au volant de la douzecylindres. |
La Jaguar XJ13 à la loupe
Lorsque l'usine Jaguar fut ravagée par un incendie, en 1957, l'implication directe de la marque en compétition fut suspendue, de même que les travaux entrepris pour l'étude d'un moteur destiné à remplacer le six-cylindres en ligne XK. Le développement de la future Type E accapara ensuite toutes les énergies, et ce n'est qu'en 1964 que fonctionna au banc un V12 5 litres à quatre arbres à cames en tête destiné à la remplaçante de la Jaguar D. La XJ 13 apparut en 1966 mais, à peine le prototype mis à l'épreuve, Jaguar était absorbée par British Motor Corporation et la réglementation sportive changeait. Désormais, ce modèle unique est exposé dans le hall d'accueil de l'usine de Coventry, quand il n'est pas sollicité par quelque organisateur de Salon.
Style
Les lignes fluides et pures de la voiture n'auraient probablement pas résisté
à un développement plus poussé, et moins encore à
une utilisation régulière en compétition. Un passage en soufflerie
intervenu dans les années 70 révéla que la XJ13 aurait mal
supporté les hautes vitesses et que la longue ligne droite des Hunaudières
sur le circuit du Mans, parcourue à plus de 330-340 km/h, aurait posé
de sérieux problèmes de portance. Néanmoins, le très
beau dessin (Je base (signé Malcolm Sayer), caractérisé par
des courbes élégamment galbées et par la symétrie
quasi parfaite obtenue entre les parties avant et arrière, possédait
un excellent potentiel aérodynamique, affichant un Cx inférieur
à 0,30. Les nécessités de la course auraient sans doute fait
fleurir, sur cette superbe carrosserie en aluminium rivetée, quelques éléments
supplémentaires nuisibles a l'esthétique.