Jaguar Type E

Le concept d'une type D simplifiée et destinée aux clients privés conduit, en 1957, à la définition de la XK SS. Pour résumer, il s'agit d'une Type D dépourvue de l'aileron arrière caractéristique, mais équipée d'un pare-brise classique, au lieu du panneau de Plexiglas arrondi autour du pilote, de rideaux latéraux, de petits pare-chocs et d'une capote repliable. Une production en série limitée est prévue sous forme d'une voiture de sport particulière, mais un grave incendie survenu à l'usine en 1957 détruit les voitures en construction et les outillages spéciaux. Seize voitures seulement ont été fabriquées avant cet événement et la production n'est pas reprise.
Mais un tout nouveau modèle est mis à l'étude et le résultat apparaît en 1961. La Jaguar Type E doit une grande partie de ses lignes à la Type D et à la XK SS. Son long capot surbaissé comporte des fentes d'extraction d'air et les phares sont masqués par des carénages en Plexiglas qui lui confère une physionomie très particulière. La partie arrière est arrondie et la carrosserie totalement découverte est très proche d'un vrai roadster. Comme d'habitude sur une Jaguar, le moteur est un six-cylindres en ligne à deux arbres à cames en tête, essentiellement le groupe que la XK 120 a inauguré en 1948.
Le bloc cylindre est en fonte et la culasse en aluminium. Avec trois carburateurs SU, il donne 265 ch. Une telle puissance, absolument fantastique pour une voiture européenne à l'époque, offre des performances en rapport : accélération de 0 à 100 km/h en 7 secondes et vitesse maximale d'environ 240 km/h.
Cette voiture n'a pas de châssis au sens habituel du terme. Elle est construite à partir d'une structure autoportante monocoque en tôle qui reçoit des cadres en treillis tubulaire à l'avant et à l'arrière. La fonction de ces derniers n'est pas limitée au support des éléments mécaniques, mais ils introduisent une certaine isolation des bruits de roulement émis par les vibrations des suspensions. Devant le tablier, deux structures en tube carré soutiennent le moteur et la boîte ainsi que les suspensions et le capot.
On a rarement vu, dans l'histoire de l'automobile, un type de capot aussi imposant que celui de la Type E. Les flancs d'aile sont directement intégrés aux bords du capot. si bien que l'ensemble ailescapot forme une seule pièce relevable. Notons d'ailleurs qu'un capot neuf fourni par l'usine en rechange n'est pas coupé exactement à la bonne longueur. Après montage à blanc sur la voiture à laquelle il est destiné, il faut recouper le bord postérieur du capot à la bonne taille. La suspension avant est constituée de deux bras triangulés solidaires de barres de torsion longitudinales. La direction à crémaillère est extrêmement directe avec deux tours et demi de volant seulement de butée à butée. La partie arrière comprend deux demiarbres oscillants à deux joints chacun suspendu de chaque côté par deux combinés ressorts-amortisseurs, solution reprise ensuite par Jaguar. Les deux gros disques de frein sont montés en sortie de différentiel. Cette configuration de l'arrière est très supérieure à celle de bien des modèles antérieurs à roues arrière indépendantes. Le couple d'accélération est bien mieux transmis, sans claquement ni vibration dûs au débattement des joints. Le confort et la tenue de route sont très améliorés du fait que chaque roue absorbe cahots et creux indépendamment de l'autre.
Naturellement, la Type E possède des freins avant à disque.
Ce choix est un des atouts de Jaguar sur le marché après avoir été une des raisons de sa victoire au Mans en 1953 avec une classique Type C.
Deux variantes de carrosserie sont proposées : un roadster et un coupé. En fait, le coupé est plus rapide en pointe que le roadster en raison de la meilleure aérodynamique de son toit rigide. En 1965, le moteur est porté à 4,2 litres et, deux ans après, la version 2 + 2 offre deux petites places arrière, un toit rehaussé et un grand emplacement de bagages à l'arrière accessible par ouverture d'un hayon donnant une sorte de demi-break ou de coupé break, même si l'expression n'existe pas encore. Les places arrière sont d'ailleurs très succinctes, à peine convenables pour deux enfants pas trop grands...
La Type E normale n'est pas conçue pour la compétition ; c'est plutôt une routière rapide pour conducteur expérimenté. Mais rien ne l'empêche de briller en course, même si les succès des modèles antérieurs spécialisés éclipsent ses performances. Par ailleurs, son impact dans l'histoire de l'automobile ne doit rien à ses succès sportifs.
Elle offre un intérieur typiquement britannique. Instruments et commandes sont répartis au centre de la planche de bord, à l'exception du compteur de vitesse et du compte-tours placés devant le conducteur. Cette configuration facilite l'adaptation à la conduite à droite ou à gauche. La sellerie cuir est standard et le volant est en aluminium recouvert de bois verni avec trois branches ajourées. Le sélecteur de vitesse est très court, comme il sied à une voiture de sport et le frein à main est placé au centre.
Le conducteur d'une Type E sait ce que plaisir de conduire veut dire. Son puissant moteur et le caractéristique sifflement sourd émis par les carburateurs à l'accélération renforcent encore la sensation de puissance et de vitesse. Ce « sifflement » typique des carburateurs SU est dû à l'aspiration de l'air goulûment avalé quand les pistons des cloches se soulèvent sous l'effet de la dépression.
Comparée à ses contemporaines, la Type E est très stable sur la route. Son empattement relativement long, son centre de gravité abaissé, ses suspensions indépendantes et sa direction précise concourent à son équilibre et son comportement dynamique sain. Le seul problème qui assombrit ce tableau flatteur tient à sa tendance marquée au sous-virage résultant de l'excès de masse sur le train avant : en courbe prise à grande vitesse, la voiture tend à aller tout droit. Mais ce mouvement peut être corrigé à l'accélérateur, du fait que le gros couple du moteur peut faire patiner la roue intérieure et décrocher le train arrière, déclenchant ainsi un survirage compensateur.
S'il existe une voiture classique dont on peut dire qu'elle a « fait un tabac > , c'est bien la Type E. Elle a attiré énormément d'acheteurs potentiels, non seulement par la beauté de ses lignes et son superbe moteur, mais aussi par son prix relativement abordable. Elle ne coûte en son temps qu'environ la moitié du prix d'une Mercedes 300SL et son prix annoncé fait naturellement sensation.
Il est possible que ce bas prix soit le résultat prévisible d'une hésitation de toute l'industrie automobile anglaise de demander une somme correspondant vraiment à la valeur du modèle, à son relatif manque de confiance dans le marché et à la crainte de demander un prix trop proche de celui de la concurrence ou de revendiquer ouvertement une qualité supérieure. Ce type de comportement est fréquent aux ÉtatsUnis, même si le produit n'est pas à la hauteur des autres, mais cette approche commerciale jure avec la mentalité britannique. On voit là plutôt un aveu de confiance en soi ou peut-être la conviction que le concept est plus important que l'argent.
Dans le cas de la Type E, Jaguar n'a pas de raison d'être timide. La voiture vaut certainement son prix, malgré quelques défauts. Notamment sa boîte de vitesses, à quatre rapports seulement et avec une première non synchronisée, type courant en Angleterre à l'époque, mais sans importance réelle du fait que le couple du moteur permet de démarrer facilement en deuxième.
Le constat est pire en ce qui concerne la carrosserie. Sur les 72 000 Type E construites, près de 50 000 sont exportées aux États-Unis ou sous des climats chauds et peu humides où la vulnérabilité de la caisse à la corrosion passe quasiment inaperçue. Mais dans des pays au climat pluvieux comme l'Angleterre ou l'Europe, la construction de la carrosserie est désastreuse. Les traitements antirouille sont pratiquement inconnus ou inappliqués et les éléments structurels comme l'intérieur des panneaux ne reçoivent même pas une couche de laque de fond complète. La finition de surface ne suffit pas à prévenir la rouille, si bien qu'aujourd'hui il est fabriqué davantage de pièces de carrosserie de Type E qu'à l'usine à l'époque afin de restaurer toutes les Jaguar E rongées par la rouille.
La conception du châssis est elle-même critiquable. Avec des disques de frein proches des joints universels et deux cardans sur chaque demi-arbre, le train arrière est complexe et coûteux à réparer. De même, le train avant avec ses triangles et ses barres de torsion est très sensible aux dommages. Il suffit d'une légère collision pour déformer l'ensemble et entraîner une coûteuse remise en état.
En 1969, l'apparition de la Série 2 s'accompagne d'une direction assistée en option. Les carénages en Plexiglas des phares ont disparu et des pare-chocs plus solides et surélevés sont adoptés pour répondre aux règlements américains en matière de sécurité. En outre, par suite des nouvelles normes antipollution américaines, la puissance du moteur est réduite à 245 ch et la vitesse maximale ne dépasse guère 200 km/h. Les clients américains, concernés au premier chef, n'apprécient pas cette régression et, pour revenir au niveau antérieur, un moteur V12 de 5,3 litres et 272 ch est introduit en 1973. Cette Type E V12 est reconnaissable à son entrée d'air agrandie et à sa calandre quadrillée.

Au milieu des années 1950, Jaguar commence l'étude d'un modèle sport remplaçant la série XK, notamment pour le marché r américain. L'objectif initial consiste à créer une version « privée » de la Type D qui a accumulé les succès en compétition. Les victoires sont des arguments valables sur le plan commercial notamment aux États-Unis. La Type D est une voiture très avancée techniquement si bien que lorsque Jaguar engage son écurie officielle en 1957; les cinq voitures d'usine se classent première, deuxième, troisième, quatrième et sixième aux 24 Heures du Mans.

Extrait de "Les Voitures du Siècle" chez Gründ