Jaguar Type D

Incontestablement, la Jaguar XKD a reçu une mission quasi unique : remporter les 24 Heures du Mans, la plus grande, la plus célèbre course d'endurance du monde. Trois victoires consécutives, acquises de 1955 à 1957, lui ont donné quitus de ce mandat...

Un souvenir de jeunesse, authentique à défaut d'être dûment homologué... Une soirée estivale, fin juin ou début juillet, douce et parfumée, comme il n'en existe plus que dans la mémoire, à l'âge où tous les soirs se ressemblent. Un immeuble au bord de la nationale 6, quelque part entre Paris et Lyon, car nous sommes au temps d'avant déviations, voies de contournement et autoroutes, quand la voie royale traverse le coeur des villes. Sur un balcon, un adolescent plus volontiers enclin à identifier une automobile qu'à déchiffrer le latin. Et, soudain, ces bolides bleu nuit frappés d'énormes ronds blancs qui passent en feulant puis, sur un double coup de gaz envoûtant, disparaissent au carrefour : nous sommes en 1957, c'est vers le lointain circuit de Monza que foncent, au crépuscule, deux Jaguar D...

Véritablement aérodynamique

En ce temps-là, les voitures de sport taillées pour la course n'hésitent pas à affronter la route de M. Tout-le-Monde. Et les Jaguar D failliront rarement à une règle qui est, du côté de Coventry, absolument institutionnelle!
Il faut dire que la XKD, qui a tout naturellement succédé en mai 1954 à la XKC - elle-même version compétition de la XK120 de série, tout se tient -, est une automobile entièrement vouée à l'endurance.
Voiture de course sans doute, mais également construite pour rouler longtemps, sachant rester sur la chaussée et s'arrêter autrement qu'à l'aide des «bacs à sable» qui garnissent (déjà) les abords des terribles virages du Tertre rouge ou de Mulsanne...
De la Type C, la jeune D reprend l'essentiel de la partie mécanique, du volumineux six-cylindres double arbre de 3 440 CM3 au pont arrière rigide en passant par les suspensions à barres de torsion. Mais on aurait tort de voir en elle une C remise au goût du jour. A l'inverse, si son traditionalisme technique est évident (néanmoins, les freins à disque...), son châssis monocoque extrême ment rigide et léger, sa carrosserie aux courbes suggestives en font une machine très moderne. En réalité, si ce n'était les suspensions « classiques », on pourrait même parler d'avant-garde : en témoigne, outre le châssis original et l'utilisation des freins à disque Dunlop, son étude aérodynamique effective et poussée. Confiés à un transfuge de l'industrie aéronautique, Malcolm Sayer, la conception et le dessin de la carrosserie sont probablement les premiers à tenir réellement compte de paramètres qui sont aujourd'hui parfaitement maîtrisés, mais que les voitures des années 50 - fussent-elles les plus sportives - ignorent superbement. Ou, au mieux, abordent empiriquement.

Tout pour les 24 Heures du Mans!

Une preuve tangible du bilan aérodynamique favorable de la voiture réside dans la comparaison de quelques données chiffrées d'une part, une vitesse de pointe proche de 280, voire 290 km/h, d'autre part la puissance disponible du 3,4 litres (le moteur de loin le plus courant sur les Type D), à savoir 245 à 250 ch, tout au plus 270 ch sur les voitures les plus abouties. Avec 930 kg à emmener, nous sommes loin des rapports poidspuissance revendiqués par les Ferrari et Maserati concurrentes.
C'est que, chez Jaguar, la catégorie Sport n'a d'intérêt qu'en fonction des épreuves de fond, dites d'endurance, et plus spécialement des prestigieuses 24 Heures du Mans. Bien avant les autres, sir William Lyons et « Lofty » England, directeur sportif de la marque, comprirent qu'un succès dans la Sarthe ferait plus de bruit qu'un titre mondial!
La Jaguar D est donc fabriquée, sur mesure, pour la grande classique mancelle. Sa pointe de vitesse lui permet d'avaler la longue ligne droite des Hunaudières à grande allure; son freinage supérieur lui fait gagner un temps considérable lors des violents et nombreux ralentissements qui jalonnent le tracé du Mans. Lequel, pour le reste, ne pénalise pas un comportement routier parfois aléatoire, conséquence des suspensions archaïques du véhicule. La robustesse à toute épreuve du « six-en-ligne » fait le reste...
C'est bien calculé : si, en 1954, Jaguar, manque de fort peu la victoire, Rolt et Hamilton terminant à quelques secondes de la Ferrari 375 SP «Plus » de Trintignant-Gonzales (4,9 litres et 350 ch!), Hawthorn-Bueb l'emportent en 1955 : triste victoire, acquise dans une course marquée par une terrible catastrophe, mais victoire tout de même... Bueb récidive en 1957, associé cette fois à Ron Flockhart qui, entre-temps, a gagné en 1956 avec Ninian Sanderson.
Lors de ces deux derniers succès, la D victorieuse porte la livrée bleu nuit à parement blanc de l'écurie Écosse. Les 24 Heures du Mans en 1957 constituent, pour notre héroïne, l'heure du triomphe absolu, puisque 4 voitures prennent les quatre premières places. Confirmant cette vocation de dure à cuire dès que l'horloge entre enjeu, la jaguar D ajoute à son palmarès 2 victoires (1954 et 1956) dans les 12 Heures de Reims, et un succès en 1955 aux 12 Heures de Sebring, la dernière des «Trois Glorieuses de l'endurance » de l'époque.

Au volant de la Type D : Une civilité confondante

Le cockpit est celui d'une voiture de course, étroit, encombré d'un énorme tunnel de transmission et d'un immense volant. Mais toutes les commandes sont douces et efficaces.
Dans le trafic urbain, cette « reine de la piste » est d'une civilité confondante : la docilité, la souplesse et la maniabilité dont elle fait preuve à faible allure se retrouvent, intactes, sur les petites routes sinueuses, où il convient alors de composer avec la fermeté des suspensions et l'extrême dureté des pneus « racing » des années 50... On remarque aussitôt la puissance de freinage procurée par les quatre disques, la précision de la direction et, surtout, un comportement général d'une étonnante efficacité.
Le meilleur reste cependant à venir : le moteur, si rond à bas régime mais répondant à la moindre sollicitation. Avec un rapport de pont adapté à un usage routier, il faut moins de 5 secondes pour atteindre les 100 km/h, et les automobiles prévues pour Le Mans atteignaient près de 290 km/h dans la ligne droite des Hunaudières. Conduire une Jaguar D aujourd'hui, c'est comprendre à quel point elle était, hier, une référence...

La Jaguar Type D à la loupe

Apparue au début de l'année 1954, la Jaguar Type XKD - puisque telle était sa dénomination officielle - était entièrement nouvelle. Le châssis monocoque complété par une structure tubulaire avant et la carrosserie très enveloppante avec le capot incluant les ailes, offrant un coefficient aérodynamique d'une rare efficacité (sans parler de l'esthétique, qui a beaucoup fait pour le succès d'estime de la Type D), étaient totalement inédits. En revanche, la partie mécanique, du moteur six cylindres double arbre aux suspensions en passant par les freins à disque, était directement héritée de la Type C.

Aérodynamisme
La Jaguar D fut l'une des premières voitures au monde à exploiter les connaissances aérodynamiques acquises en particulier dans le domaine de l'aéronautique. La structure même de la D, avec la partie centrale monocoque, le carter sec permettant d'incliner le moteur et donc d'abaisser la ligne du capot ou encore le radiateur en deux parties, tout ceci permit à l'ingénieur Malcolm Sayer, transfuge de chez Bristol, de concevoir en soufflerie une carrosserie très fluide. Capot avant et ailes d'une seule pièce, avec petite ouverture ovale pour le refroidissement, phares carénés, pare-brise très enveloppant qui, dans un premier temps, ne protégeait que la place du pilote, dérive pouvant remodeler le dessin de l'appui-tête... ; même le rétroviseur était soigneusement profilé et, sur les dernières versions, l'échappement latéral fut supprimé pour passer sous la voiture.

Superbement dessinée, la Jaguar XKD fit ses débuts en course lors des 24 Heures du Mans en 1954 et remporta sa première victoire quelques semaines plus tard dans les 12 Heures de Reims.

Mike Hawthorn précède Fangio sur le circuit du Mans, en juin 1955. La voiture est en route pour la victoire, premier des 3 succès de la Type D dans les célèbres 24 Heures.

Grâce à un aérodynamisme poussé et à la puissance du moteur XK travaillé, la vitesse de pointe frôlait les 290 km/h.

La Type D était (et reste) belle sous tous les angles. Celui-ci fut souvent le seul pue les concurrents des Jaguar eurent le loisir de contempler...

Véritable cabriolet, avec pare-brise et capote, la XKSS apparue en 1957 se voulait la version civile de la D. Seuls 16 exemplaires, sur le petit nombre construit, échappèrent à l'incendie de l'usine de Coventry.

La dérive installée sur l'appui-tête donnait davantage de stabilité à la voiture.

Cette Type D de 1955 engagée au Mans porte les couleurs de l'écurie de Briggs Cunningham.

1. Alors que l'avant était rallongé, la dérive arrière courait jusqu'à l'extrémité de la voiture.
2. Le capot d'une seule pièce, avec les phares carénés.
3. Même les échappements latéraux comportaient un carénage spécialement étudié pour favoriser l'écoulement de l'air.

La voiture gagnante des 24 Heures du Mans en 1955 soutint sans problème une vitesse moyenne de 172 km/h.

Si la réglementation exigeait la présence de deux sièges, seul le pilote avait droit à un pare-brise, du moins jusqu'en 1955.

Extrait de "L'atlas des Bolides" des Editions Atlas