Yannick DALMAS

Yannick DALMAS

Trajectoire respectée



Trop tôt ? Trop tendre ? S'il n'a pas percé en F 1, il a remporté quatre fois les 24 Heures du Mans. Preuve du talent et de l'obstination de ce gentleman driver

Par Stéfan L'Hermitte.

Photo Bruno Charoy pour "L'Équipe Magazine"

PARFOIS, LA NUIT, Yannick Dalmas oublie de dormir. Les autres pilotes des 24 Heures, l'égoïsme naturel attisé par la fatigue, courent de leur voiture à la caravane refuge, pour entrer au plus vite en réclusion provisoire. Lui, encore essoufflé par son relais, les yeux exorbités à force d'avoir deviné le ruban de macadam, oublie la case repos. Il prend inévitablement pied dans le stand aux recoins blafards et aux insupportables lumières de clinique, à l'affût des écrans, des chronos. De tout. " Il veut savoir ", comprend sa compagne Raphaëlle Noguères, kiné du corps, kiné de l'âme.

Sa Porsche vient d'abandonner, en 1998 ? Il ne pourra laisser le jour poindre. Il se doit d'être là, de reporter sa soif de perfection sur l'autre voiture. Parce qu'il est ainsi. Sa McLaren sort victorieuse inattendue d'un tour d'horloge pluvieux, en 1995 ? II accompagne toutes les manceuvres, installe son successeur avec des gestes de nounou, parle dans son " anglais provençal " à un équipier qui n'entend que le japonais, semble vouloir voler la place du préposé au cric... Sa BMW file trop vite pour tenir, rogne les vibreurs, en 1999 ? Il monte à l'assaut de Gerhard Berger, patron intouchable, propose un changement de rythme, se fait mettre à dix mètres, puis à cinq, puis à deux, s'accroche, s'impose. Et gagne la course. Sa quatrième.

La première, c'était en 1992: Peugeot avait survolé les 24 Heures grâce à la puissance de toute une équipe. Il siégeait dans une 905 parfaite et lui avait été parfait. Il récidivait en 1994, avec une Porsche trop favorite, engouffrée dans une faille réglementaire, ce qui avait froissé son désir absolu d'équité. Il avait prouvé beaucoup, en 1995 avec une McLaren surprise, puis encore en 1999 avec une BMW pas forcément de pointe. Quatre victoires avec quatre voitures différentes. C'est trop pour féliciter le hasard.

Pourquoi ? Comment ? Il s'est rarement épanché, par dégoût du " moi je ". " Par superstition aussi. " Sa méthode est donc à deviner entre les mots : " On est plus forts à trois que tout seul. " Il sait tirer par la manche un Pierluigi Martini rouleur de mécaniques et useur de pneus ; tendre la main à un Manasori Sekiya, modeste Nippon propulsé partenaire. " Je ne les lâche pas une minute " . Il donne, beaucoup, et espère un retour. " Avec l'âge, j'ai eu besoin de partager. " Il agit posément, lent en apparence mais cartésien, prévenant aussi, dans un milieu qui ne se soucie guère de l'affectif. " Il sait faire gentiment " , remarque Raphaëlle. Il ne s'énerve que quand les solutions sont épuisées, que le conflit - qu'il n'aime pas - devient nécessaire. Son but est toujours de convaincre. Raphaëlle : " Même si l'équipier ne veut rien savoir, il finit par en faire son copain. " Hugues de Chaunac, patron de ses débuts, qui reprend ce week-end une collaboration rapprochée : " C'est un capitaine. " À trente-huit ans, Yannick Dalmas n'a pas changé. Pas le genre. Difficile pourtant de superposer sa période Le Mans sur la. période F 1 de ses jeunes années. Leader plein d'assurance aujourd'hui, suiveur introverti hier. En 1987, quand il entre chez Larousse, la France piste le nouveau Prost. Il s'immisce dans les points dès son troisième Grand Prix. Il croyait que le sens des trajectoires suffirait... Il sera salement répudié, faute de résultats, quelques mois plus tard, à l'aube du Grand Prix de France, au Castellet, à cinq kilomètres de ses racines. Âme tendre. " Il a franchi le pas trop tôt, juge Hugues de Chaunac, qui le fit gagner en Formule Renault, en F 3, en F 3000. Il n'avait pas eu le temps de s'endurcir. Ses repères étaient faussés. Quand on te dit que tu es Sampras alors que tu n'es encore que centième à l'ATP, tu préfères écouter celui qui te dit que tu es Sampras. Yannick était dans un rêve, pas dans la réalité. " Il avait d'abord le tort d'être différent, naïf peut-être. " Il s'est rendu compte trop tard qu'il était dans un aquarium avec des requins et qu'il ne fallait pas se laisser bouffer... " , image Thierry Magnaldi, motard du Dakar, voisin et compagnon d'entraînement. " Il n'avait ni le charisme ni l'opportunisme nécessaires à ce monde sans pitié, et comme ce monde lui semblait hostile, il s'était mis une armure " , se souvient Philippe Alliot, son équipier d'alors. " On pouvait faire ce qu'on voulait de moi. Ah ! si on avait su me prendre... " , analyse Yannick Dalmas.

Il venait d'ailleurs, hors norme: enfant du Beausset et de la campagne varoise, avec l'accent, né d'un milieu dévoué, passionné mais modeste et pas très au fait de tous les codes. On l'imagine trop, pré-adolescent, encombré de ses bras, engoncé de timidité, dans le bureau de monsieur Rhuzowski, importateur marseillais qui lui propose une moto 50 cm3 pour courir à Iffendic en Bretagne. Brut et pur. " La moto de cette époque était un sport de terre. Tous les parents de pilotes étaient agriculteurs, emmenaient leurs enfants, faisaient la mécanique, la bouffe. Mon kif, c'était le motocross. " Un cocon marginal, différent du sport auto, plus citadin, plus riche, plus adulte. Mais Le Castellet, antre de la F 1 en France, est à portée de sons. Yannick, las d'user son potentiel sur du matériel dépassé, las aussi des fractures à répétition, finira par se laisser attirer par les quatre roues. Un cigarettier détecte les pilotes de demain. Jean Alesi, Philippe Gache... Lui doit s'y reprendre à trois fois. Naïf encore. Mais son talent finira par passer. Il grimpera jusqu'en F 1, héritier indirect de Cevert, l'ange aux yeux si profonds... L'histoire est belle. Encore gamin, Yannick accompagnait son père, qui s'était échiné à retaper une Ford T invitée à parader avant la vraie course. " On a gagné une coupe de huit centimètres de haut, Cevert, lui, a reçu un magnifique trophée. On s'est croisé, on s'est regardé. Il avait un regard de folie. Il m'a gratté la tête comme un adulte fait à un môme. J'avais son poster dans ma chambre. " Cevert ne sera jamais champion du monde. Dalmas ne dépassera pas vingt-quatre Grands Prix, trop vite rejeté chez AGS, pour d'insoutenables séances de préqualifications, antichambres de l'oubli. La F 1 n'aime pas les redoublants. Dalmas n'a pas rejoint Prost. Regrets éternels sans couronnes de vainqueur ? " Je ne peux pas être amer. J'ai eu ma chance. " Raphaëlle : " Même quand il se prend une baffe, il n'arrive pas à être aigri. Il est tout bon. " S'il faut revenir sur des histoires déjà refermées, il préfère évoquer les " mains tendues " . Celle de Jean Todt, alors chez Peugeot, dans laquelle il a senti de la confiance, de la chaleur. Il est entré tout petit dans le bureau du petit général, avenue de la Grande-Armée, à Paris. C'est là qu'il a connu sa plus grande écurie, s'est étoffé et a regagné des courses.

Yannick Dalmas parle de tout ça paisiblement, entre vignes et oliviers, à deux pas de la Méditerranée où le ciel a pris la couleur de la mer. Les quatre roues d'un quad l'ont hissé jusqu'aux volets bleus du cabanon familial. Un silence étrange a remplacé, depuis des mois, l'écho des moteurs venu du Castellet. Pas d'eau, l'arrivée est coupée. Tant pis. Les chaises en plastique tirées au soleil suffiront. Il déroule sa vie, pointe 1993. Il hésite - " Je n'ai jamais parlé de ça... " - puis se décide : " Sur un petit routier, aux États-Unis, je me suis envolé. On m'a ressorti cartonné dans la tête. Le Mans en 1993, je ne m'en souviens pas. J'étais un robot. Je m'habillais, je faisais tout bien, aucune faute en piste, mais j'étais passager de ma propre voiture. À côté, rien n'allait, j'étais amnésique, j'avais perdu le goût, l'odorat, je serrais la main à des gens que je ne reconnaissais pas, je me perdais dans la rue, je me fâchais avec des très proches. Comme une comète éparpillée. Avant que les bouts se remettent dans le bon ordre... "

Le Mans 1993 ? Dalmas, pilote d'une Peugeot, fuyait le contact avec la planète Terre. " Il s'échappait, ne parlait pas " , témoigne Philippe Alliot. La douleur morale lui arrachait des larmes. Le contact est revenu, progressivement, très progressivement, aux côtés de Raphaëlle qui avait vécu le même trauma, " en moins vite mais sans casque ". Deux ans de doute avant de rabouter les fils. " Ce crash m'a donné quelque chose en plus " , poursuit-il. Il cite Mikka Häkkinen, plus fort, beaucoup plus fort après qu'avant, beaucoup plus épanoui aussi. " Là-haut, il y a quelqu'un. Je ne dis pas tu as le bon Dieu sur l'épaule, que tu peux y aller, foncer. Quand tu as touché le pire, tu réagis différemment. " Il a tapé, souvent, pas seulement aux États-Unis en 1993, pas seulement dans ses vertes années de motard. Il recense vite fait ses sorties à plus de 250 km/h. Quatre au moins. Castellet, Mugello, Road Atlanta, Barcelone... Il en évoque une autre, sévère, au volant de la 905, à Monza en 1992, à quelques centaines de mètres d'une victoire annoncée. " Au motor-home, tout le monde m'attendait; j'ai vu des mitraillettes à la place des yeux... C'est là où le manque d'assurance peut être un sacré handicap. J'ai presque éclaté en sanglots, j'ai gueulé que ce n'était pas moi, que quelque chose avait cassé... " C'était le disque de frein.

Il a compris ce jour-là qu'il quittait sa coquille, qu'il était sur la voie. Aujourd'hui, Yannick Dalmas est leader, perfectionniste, si présent malgré sa discrétion. " Tous les deux jours, il est à l'usine ", résume Chaunac. Il ne subit plus, il agit. Il veut. La McLaren de 1995 n'avait pratiquement aucune chance de lui offrir la couronne du Mans. Il n'a pas renoncé. Raphaëlle : " Au début de la course, il bataillait avec la voiture, il n'y arrivait pas. Et puis il en a eu vraiment marre qu'elle lui résiste. Il a fini par la mettre à sa main. Il aurait continué à rouler pendant des heures. " Même quand la cause est désespérée, Dalmas chasse le moindre espoir. En mission. " C'est une teigne " , témoigne son pote Magnaldi. Chez Raphaëlle, le perroquet gabonais aussi a subi la loi du plus fort. Coco ne se laissait pas approcher. Yannick a voulu l'apprivoiser. Il s'est fait sanctionner à coups de bec. Mais il a gagné. Le perroquet obtempère maintenant à ses ordres les plus inattendus. " Je n'aime pas l'échec " , souffle son maître. Le perroquet n'avait aucune chance.

Photo et article parus dans "L'Equipe Magazine N°946 Juin 2000"

En 1998, Yannick Dalmas était pilote officiel chez Porsche. Cette année-là, il ne finira pas la course puisque sa GTone abandonne suite à un incident mécanique. Ce n'est que partie remise pour lui, et pour la première édition du « Petit Le Mans » à Atlanta, chez le richissime américain Don Panoz, il qualifie le proto de Stuttgart et obtient même la pôle position. Après le départ, il garde la tête de la course jusqu'à cette époustouflante cabriole à prés de 220 km/h. Appréciez plutôt...

L'envolée de Yannick Dalmas (18 s ; 1 718 Ko)

Yannick s'en sort miraculeusement. On comprend alors aisément pourquoi il est passé chez un des rival allemand, à savoir BMW, là-bas les protos sont des barquettes ouvertes et ne décollent jamais...