L'épopée
Matra | |
Trente
ans après la belle aventure de Matra, Jean-Luc Lagardère reste l'initiateur
de cette formidable épopée qui aura permis à Henri Pescarolo
de gagner les 24 Heures au volant d'une voiture tricolore. "Sans lui et son
enthousiasme, jamais un tel pari n'aurait pu exister" se souvient Pesca.
"Avant de te rencontrer en 1965, je n'avais jamais entendu parler de lui.
A cette époque, je sortais tout juste de t'opération "Ford
Jeunesse" au votant d'une Lotus Seven. Un technicien, détaché
par Matra pour commencer à recruter de jeunes pilotes, m'avait remarqué."
Ce que Pescarolo ne sait pas encore, c'est que t'aventure Matra Sports est tout
simplement en train de naître. L'époque de "Mécanique-Aviation-Traction",
réfugié en zonelibre et spécialisé dans les lanceroquettes
et ta construction aéronautique de petites unités, est déjà
loin. L'alliance de Marcet Chassagny (fondateur) avec Sylvain Floirat (Europe
1) en 1957 oriente désormais Matra vers de nouveaux défis. Le jeune
Lagardère, fraîchement arrivé de Dassault, rêve tout
simplement d'attirer sous tes couleurs de ta firme les meilleurs ingénieurs.
"Je veux créer un réservoir de matière grise" clame-t-it
autour de lui. "La défense et t'armement, c'est un champ noble mais
limité. Ce qu'il faut à Matra, pour devenir synonyme de créativité,
c'est un nom qui frappe et fasse rêver." En 1964, le rachat des automobiles
René Bonnet apporte à Lagardère l'élément manquant
à sa logique industrielle. "Nous allons faire de la compétition
avec te plus d'ambition possible" décide alors te fougueux directeur
de 35 ans.
Aussi, après t'avoir été par Eric Offenstadt
et Jean-Pierre Bettoise, Lagardère est séduit par Pescarolo. Tout
comme l'inverse. "C'était envoûtant. Il était tellement
passionné, communicant, se souvient Pesca. J'ai tout de suite accepté
sa proposition. Bettoise venait de se blesser et il avait besoin d'un pilote-essayeur
capable aussi de faire un peu de mécanique. Un homme à tout faire.
C'est comme cela que je me suis retrouvé dans le fond d'un garage, avec
un salaire de simple mécano, à répondre le plus souvent au
téléphone." Georges Helmet
C'est
en formule 3, sous les ordres de Claude Le Guezec, que l'équipe "Matra-Sports"
entame sa toute première saison de compétition. Grâce au talent
de Beltoise et à une monoplace bien née, un premier titre national
vient récompenser en 1965 la petite mais ambitieuse écurie. Pescarolo
qui ronge son frein (c'est le plus jeune... et le plus grand), faute de baquet
disponible, n'apparaîtra au volant qu'en toute fin de saison. "Rien
n'était prêt, tout était à construire et je crois que
je n'ai dû prendre le départ que deux fois. Mais bon, j'étais
là pour apprendre un métier dont j'ignorais tout et j'étais
bien décidé à saisir ma chance quand mon tour viendrait."
Au cours de l'hiver, enhardi par le titre F3, Lagardère libère les
énergies de sa jeune équipe en lançant coup sur coup un programme
F2 (Beltoise et Schlesser) et en confiant au tandem Jaussaud-Pescarolo le soin
de récidiver à l'étage au-dessous. Parallèlement,
le tout premier prototype à moteur BRM 2 litres s'attaque à l'endurance
via le tandem Jaussaud-Servoz Gavin.
Après des débuts officiels
délicats à Monza et à Spa, la MS 620 pointe son nez sur la
piste du Mans. "Pour je ne sais plus quelle raison, je ne devais pas conduire
cette année-là. Mais on m'avait laissé libre de trouver un
volant et tout naturellement, j'avais été frapper à la porte
de Charles Deustch qui dirigeait alors l'équipe C.D." Sans succès.
"Et puis une place s'est libérée chez Matra." C'est de
nuit et sans aucun essai préalable que le coéquipier de Jaussaud
va s'élancer sur la célèbre ligne droite mancelle lors des
essais du jeudi. "Un truc de fou ! Je me suis retrouvé avec un proto
instable que je n'avais jamais conduit, découvrant à la lueur des
phares, un tracé dont j'ignorais les pièges. Le tout au beau milieu
du duel Porsche-Ferrari ! Jamais au votant, je n'ai éprouvé depuis
un tel sentiment de terreur." Cette année-là, aucun proto bleu
n'ira au bout. Comme en 67 et en 68 d'ailleurs, où l'épisode de
l'essuie-glace en panne participera à construire la légende Pescarolo.
"J'avais conduit toute la nuit en aveugle sous l'orage et au petit matin,
on était revenu à la deuxième place." Mais en passant
sur les débris de l'Alpine de Mauro Bianchi qui venait de taper durement
au Tertre Rouge, Henri va malencontreusement éclater un pneu. Un court-circuit
provoquera l'abandon définitif de la prometteuse MS 630. Mais, cet incident
n'est rien, en comparaison de ce qui attend Henri la saison suivante. À
cette période, la 640 de Choulet avec sa carrosserie fermée est
en balance avec la 650 découverte de Boyer. En avril 1969, "Pesca"
et "Servoz" se retrouvent dond sur les Hunaudières, pour tester
la M 640. "C'est quelque chose que je n'ai pas oublié parce que pendant
les cinq mois où je suis resté allongé à l'hôpital,
j'ai eu le temps d'y penser", se souvient encore le "Miraculé".
"Ce qui est certain, c'est que je n'étais pas encore au maximum. Peut-être
à 280 km/h. J'ai bien senti un début d'allègement du train
avant, mais je crois surtout que c'est la petite bosse du croisement qui a amplifié
le phénomène." Avec la colonne vertébrale fracturée
et les poumons brûlés, Henri aura beaucoup de chance, si l'on songe
qu'il est sorti seul et sans aide de la Matra en feu. Mais déjà,
sur son lit de douleur, une seule pensée l'obsédera : remonter le
plus vite possible dans une voiture de course ! Une Matra... G. H.
Aussi
bizarre que cela puisse paraître, les relations entre Pescarolo et Matra-Sports
vont alors se distendre avec le temps et malgré les bons résultats.
En effet, dès 1970, au volant de la MS 120 sur les circuits de F1, Henri
accumule les bons scores. Par trois fois, il rentre dans les points et s'offre
même le luxe d'un podium au prestigieux Grand Prix de Monaco derrière
Rindt et Brabham. De même en Sport-Protos, derrière l'équipage
n°1 (associant toujours l'Australien Brabham à François Cevert),
le duo Beltoise-Pesca est loin d'être ridicule comme en atteste leur victoire
aux 1 000 kilomètres de Buenos Aires. Et pourtant, à la fin de la
saison et malgré un nouveau titre de champion de France F1 / F2, Henri
se retrouve de nouveau dans le bureau de Jean-Luc Lagardère. Mais cette
fois-ci pour prendre ta porte... "Alors que Jean-Pierre venait de faire une
belle saison, Lagardère m'annonça qu'il faisait appel à Chris
Amon comme premier pilote et que je ne faisais donc plus partie de la maison.
Là, j'ai vraiment accusé le coup car je sentais bien, qu'après
une bonne saison d'apprentissage, j'avais tout à fait ma place en F1."
Après
un passage remarqué sur Ferrari lors des 24 Heures 1971 avec Mike Parkes
comme coéquipier, un bon début de saison en Sport-Protos pour Alfa-Romeo
et quatre points pour le team Williams en F1, Pescarolo ne veut plus entendre
parler de Matra. Mais voilà... "C'est donc ce brave « Jaby »
(NDLR : Gérard Crombac, le journaliste de "Sport-Auto") qui est
revenu à la charge. Lagardère lui avait confié le soin de
mettre sur pied une équipe pour que Matra gagne enfin au Mans. Je me souviens
qu'à la même époque, ce même Crombac n'arrêtait
pas de m'appeler pour me faire part de l'évolution des tractations. En
définitive, je me suis quand même dit que c'était trop bête
de passer à côté d'un truc comme cela. Alors j'ai fini par
dire oui." Pour finalement se retrouver associé au nom du légendaire
Graham Hill, déjà vainqueur à Indianapolis et à Monaco.
Pendant
la course, et après un impressionnant record du tour de François
Cevert aux essais (à quelque 220 km/h), les responsables de Matra vont
passer d'un sentiment extrême à l'autre. Dès le départ
(donné par le président Georges Pompidou), l'abandon de Beltoise
au 2e tour jette un grand froid. Puis, le long duel avec le duo Cevert-Ganley
laisse sceptiques les plus pessimistes nous remémore Henri Pescarolo. "Au
début, les consignes de Ducarouge étaient claires pour tout te monde"
rigole-t-il encore, trente ans après les faits. " Et puis, il s'est
soudainement mis à pleuvoir. Les tableaux de marche ont commencé
à valser. Et tout le monde a voulu aussitôt y mettre du sien. Dans
ce contexte difficile, c'est là que l'expérience et le feeling de
Graham ont fait la différence. Surtout la nuit. C'est grâce à
lui si on a pu faire la différence sur les autres." G. H.