Jaguar, une firme mythique

1950. Produisant des automobiles de qualité depuis plusieurs années déjà, la firme Jaguar se lance dans les courses d'endurance au plus haut niveau, pour mieux se faire connaître et affirmer son image. Pour les 24 Heures du Mans, elle prépare trois modèles XK120 allégés grâce à l'emploi de l'aluminium. Leur prestation a séduit puisque deux d'entre eux terminent, le meilleur finissant douzième.

Objectif : vaincre au Mans. Les mois qui suivent voient l'élaboration d'un engin conçu pour gagner au Mans. Nommé XK120C et par la suite type C, il reçoit une carrosserie à la fois aérodynamique et très esthétique. L'utilisation de tubes soudés accroît sa rigidité et abaisse la masse totale. Une nouvelle culasse permet d'accroître la puissance de 30% (205 CV à 5500 tr/mn). Des freins de plus grande surface autorisent une meilleure sécurité malgré ses performances. En juin 1951, les trois types C vont se retrouver en tête au Mans, mais des problèmes de carters d'huile en éliminent deux. Malgré cela, P Walker et P. Whitehead l'emportent avec 11 km d'avance sur la Talbot de Meyrat et Mairesse.

Première course... première victoire. L'été suivant, S. Moss gagne le Tourist Trophy avec sa type C.

Le bruit court que les nouvelles Mercedes 300 SL vont être imbattables avec leur formidable puissance entraînant accélérations et vitesses inégalées. La direction de Jaguar prend la décision deux mois avant les 24 Heures, de changer la carrosserie des types C. Elles reçoivent alors un avant long et plongeant, et une partie arrière étirée favorisant la pénétration dans l'air. Au Mans, au bout de quatre heures, les trois bolides anglais ont disparu, victimes de la surchauffe des mécaniques... laissant Mercedes réussir le doublé. Peu après à Reims, puis en août à Goodwood, Moss et sa type C disposant d'une carrosserie classique, triomphent.

Pour 1953, les efforts portent sur l'allégement (50 kg), l'augmentation de la puissance (10 CV), l'amélioration de la suspension arrière, et surtout l'utilisation de freins à disque, technique complètement nouvelle provenant du domaine de l'aviation. Le Mans voit la consécration des types C avec Rolt et Hamilton vainqueurs, Moss et Walker 2e, la 4e place, et le modèle privé des Belges, 9e. L'année se poursuit avec d'autres belles performances : 2e et 3e aux 24 Heures de Spa-Francorchamps, 2e au Nürburg, 3e au Tourist Trophy et encore une victoire aux 12 Heures de Reims (Moss / Whitehead).

Le formidable type D

Le type C se trouvant en fin d'évolution, il faut élaborer un nouveau modèle. Malcolm Sayer dessine une carrosserie très aérodynamique et de faible surface frontale. Le centre de gravité se trouve abaissé ; la structure reçoit des éléments en alliage léger ; les roues à rayons, trop lourdes, laissent la place à d'autres, dotées de voiles en magnésium. Le type D ainsi obtenu dépasse les 270 km/h en pointe soit un progrès d'au moins 30 km/h. Sur les longues lignes droites, voilà un avantage déterminant.

De fortes pluies accueillent l'épreuve mancelle en juin 1954. Gonzales et Trintignant, avec leur grosse Ferrari, éprouvent les pires difficultés à devancer Rolt et Hamilton (Jaguar D). La D semble bien née, d'autant plus qu'en juillet elle enlève les trois premières places aux 12 Heures de Reims ! 1955 commence bien pour Jaguar avec la victoire de Hawthorn et Walters aux 12 Heures de Sebring (USA). Pour améliorer encore la pénétration dans l'air, de nouvelles D dites " long nose " apparaissent, dotées d'avants allongés de 19 cm. De plus, leur puissance augmente encore un peu. Hawthorn et Bueb avec leur D "à long nez" l'emportent en battant le record de la plus grande distance parcourue. Fin 1955, la firme Jaguar décide de poursuivre la compétition un an encore puis d'arrêter, de façon à laisser l'ingénieur Heynes s'occuper uniquement des voitures de production.

L'injection indirecte Lucas apparaît sur certains types D en 1956. Cette année-là, aux 24 Heures du Mans, les voitures d'usine peinent, une seule termine... à la 6e place ! Heureusement l'Ecurie Ecosse, avec ses bolides bleu sombre (de toute beauté), la supplée : Sanderson et Flockhart remportent l'épreuve. Les voitures officielles prennent leur revanche aux 12 Heures de Reims, en juillet, avec la 1re place de Hamilton et Bueb. Fin 1956, Jaguar cède ses "D long nose" à l'Ecurie Ecosse. De façon à encore accroître ses chances face aux "grosses" Maserati et Ferrari, le bon vieux 6 cylindres en ligne (dont l'origine remonte aux XK120 !) voit son bloc réalésé à 87 mm au lieu de 83 ; cela porte la cylindrée à 3781 cm3 et la puissance à près de 300CV Le Mans 1957 amène la consécration au type D 1er Bueb et Flockhart, 2e, 3e, 4e et 6e... Uniquement grâce à des écuries privées ! Conçue pour gagner au Mans, la Jaguar D aura réalisé tous les espoirs mis en elle avec une 2e place la première année, suivie de 3 victoires consécutives. La limitation des cylindrées à 3 litres va provoquer des difficultés liées à la fragilité qui ne permettront pas aux types D des années suivantes, engagées par des écuries privées, de se mettre en valeur. En 1962 deux types E, engagées par Cunningham en GT, décrochent des 4e et 5e places...

Les XJR matent Allemandes et Japonaises

984 voit le grand retour de Jaguar au Mans grâce aux deux XJR 5 du "croup 44" de Bob Tullius. Les moteurs V12 de 6 000 cm3 leur ont permis, malgré leurs abandons de donner une idée de leur potentiel. L'année suivante, un des deux bolides britanniques termine 13e et enlève le classement GTP. De bon augure !

Jaguar revient officiellement en 1986 avec des XJR 6 disposant de V12 de 6 litres et de coques en carbone. Aucune des trois engagées ne peut finir l'épreuve menée à toute vitesse et gagnée par l'armada Porsche. Les XJR 8 engagées par la firme de Coventry en 1987 montrent que d'énormes progrès viennent d'être effectués ce qui se traduit par une intéressante 5e place, à faible distance de la 2e.

Le modèle XJR 9 marquera-t-il le retour de Jaguar au premier plan ? Pas moins de cinq engins animés par des V12 de 7 litres prennent le départ des 24 Heures 1988. Leurs adversaires ? 11 Porsche et 9 Japonaises (Toyota, Nissan, Mazda). Aux essais, les Porsche 962 officielles font merveille. L'équipe germanique défend chèrement sa peau ; la lutte reste à son avantage jusqu'à sept heures le dimanche matin, moment où Lammers, Dumfries et Wallace prennent la tête avec leur XJR 9 pour ne plus la quitter malgré la "pression" créée par la Porsche qui la suit à faible distance.

17 Porsche, 3 Sauber-Mercedes, 4 Jaguar, 3 Mazda, 4 Nissan et 3 Toyota possèdent des chances certaines pour la victoire en 1989 ! Impériales, les Sauber réalisent le doublé. Les Jaguar ne terminent qu'aux 4e et 8e rangs. Les boîtes de vitesses et les échappements des XJR 9 ont montré de sérieuses faiblesses.

Pour 1990, encore 4 Jaguar, des XJR 12 cette fois, face à plus de 30 autres voitures dignes de gagner. Les hommes de Coventry décrochent les deux premières places, la plus haute marche occupée par Cobb, Brundle et Nielsen. 1991 marque la dernière participation de Jaguar aux 24 Heures du Mans... pour le moment ! Les XJR 12 reçoivent des moteurs de 7400 cm3. Malgré cela, une Mazda dotée d'une mécanique à "piston rotatif" termine en tête, ingénieurs et techniciens japonais ont bien su exploiter un règlement favorable. Toutefois, les bolides britanniques n'ont pas démérité, réussissant un tir groupé avec les 2e, 3e et 4e places.

En 1992, un nouveau texte limite les cylindrées et donc élimine les gros cubes. Exit les XJR 12 !

Ainsi une seconde période brillante se termine pour la firme anglaise. Souhaitons que la prochaine vienne vite car, à chaque fois, Jaguar sait créer des voitures aux étonnantes possibilités apportant un intérêt accru à la compétition. Le palmarès déjà peu commun de Jaguar ne demande qu'à s'étoffer.

J.P. Delaperrelle
Article paru dans "La Vie Mancelle Et Sarthoise"

LYONS WILLIAM : Industriel anglais, fondateur de la Jaguar Cars Limited. Il naquit à Blackpool en 1901 d'une famille aisée (son père était marchand de pianos). A vingt et un ans, William Lyons était déjà constructeur de side-cars, après avoir fondé, avec son ami William Walmsley, la Swallow Sidecar Company.
En 1927, tout en continuant à construire des side-cars, Lyons fit son entrée dans le domaine automobile en construisant en série des carrosseries adaptables à des châssis de différentes marques ; puis, immédiatement après, il se lança dans la fabrication de voitures complètes. La première de celles-ci fut une biplace découverte, équipée d'une mécanique Austin ; elle fut suivie de beaucoup d'autres réalisations sur des châssis Standard, Swift, Wolseley et Fiat.

Mais ce n'est qu'en 1931, avec la présentation au Salon de Londres de la SSI, que la firme fondée par Lyons trouva la voie qui devait la mener à une grande renommée. En effet, ce premier modèle donna naissance à une série de voitures de sport qui reçurent le nom de Jaguar". Ce nom fut d'ailleurs pris, après la guerre, comme raison sociale de la firme, dont le contrôle resta entre les mains de son fondateur jusqu'en 1966. Cette année-là, la Jaguar Cars entra dans le groupe B.M.C. ; de cette union naquit la B.M.H., dont Lyons fut nommé vice-président en 1968. William Lyons conserva cette fonction, ainsi que la présidence de Jaguar, jusqu'en 1973, année où il se retira de la vie active.

Extrait de "Alpha auto - Grande encyclopédie de l'automobile"