Les débuts de la marque américaine au Mans
Pour un Italien qu'on n'achète pas !
Etonnante histoire que celle qui aura liée, de 1964 à 1969, le grand constructeur Ford au Mans ! Tout commença par l'ogre qui eût soudain l'envie de s'offrir le petit Poucet. La légende veut, en effet, que la décision de l'implication totale de Ford, dans les courses de sport-prototypes, remonte aux 12 Heures de Sebring 1963. Ce jour-là, venu expressément sur te tracé floridien afin d'assister au succès de ses Cobra - pourtant encore guère au point -, Henry Ford II assiste au spectacle hallucinant de voir ses voituresoutrageusement dominées par la prestation éblouissante des modèles GTO, construites chez un certain Enzo Ferrari, constructeur de voitures de course, en Italie ! Vexé et humilié, le grand boss de Detroit se retourne vers un de ses plus proches collaborateurs et s'en va de cette célèbre réplique « Puisque c'est ainsi, nous allons racheter Ferrari ! » Ironie du sort : au même moment, Enzo Ferrari, âgé de 65 ans, cherche à pérenniser son entreprise. Il souhaite alors se rapprocher d'un grand constructeur et a commencé à prendre contact avec... Ford-Italie puis Ford-Allemagne ! Mais l'affaire ayant été jugée peu sérieuse, on en reste là. Sans jamais avoir été mis au courant de cette épisode européen, Henry Ford et Ferrari commencent à discuter. Mais, au fur et à mesure qu'avancent les discussions, le Commandatore se fait de plus en plus réticent. Lors de la réunion du 13 mai 1963, les Américains croient enfin décrocher le jackpot. Mais, ce têtu d'Italien de Modène - exigeant toujours le droit à ses satanés choix techniques et commerciaux - quitte sur un coup de tête la table des négociations. Bien lui en prend, puisque commence, dès lors, la saga de la plus formidable rivalité en terme de courses automobiles ! En effet, furieux de ce volteface final de l'homme de Maranello, Lee laccoca, alors vice-président de Ford et général manager du géant de Deaborn, décide sur le champ de la politique à adopter : « Ford va construire sa propre voiture afin de battre ce damné d'Enzo Ferrari ! » Et pas n'importe où : dans la Sarthe ! Une victoire au Mans consacrera pleinement la future hégémonie du constructeur américain sur la planète. Henry Ford II lui donne le fameux feu vert. L'histoire est en marche. Rien ne pourra plus l'arrêter... - Philippe Pasteau
1966
En route vers la gloire
Basé
pour l'instant en Angleterre, Ford construit sa première voiture sur la
base d'un proto élaboré par Lola en 1962. Au Mans, la petite Lola
GT, animée par un V8 4,7 litres, est pointée 8e avant d'abandonner
à la 15e heure sur accident. Lors des essais d'avril 1964, la première
GT40 V8 4,2 litres (350 ch), conçue sous la direction de Roy Lunn et Eric
Broadley, apparaît dans la Sarthe. La voiture, trop légère
aérodynamiquement, est pénalisée par une instabilité
récurrente à haute vitesse et connaît deux grosses sorties
de route. Les essais sont un échec. En juin, trois voitures seront pourtant
alignées. Mais aucune ne ralliera la ligne d'arrivée, malgré
le nouveau record du tour, établi par Phi[ Hill. Agacé, Ford quitte
sa base anglaise et rapatrie alors tout aux USA. Caro[[ Shelby prend la relève.
Le modèle GT 40 hérite alors du V8 4,7 litres des Cobra (385 ch).
Côté aéro et châssis-suspensions, on revoit toute la
copie en dix petites semaines. Avec leur nouvelle GT40, Miles-Ruby offrent à
Ford son premier succès à Daytona en 1965. Dans le même temps,
la MkII, un autre proto - mû par un énorme moteur 7 litres (500 ch)
- est prêt : en plus de quatre GT40, Ford en aligne deux au Mans. Victimes
de leur joint de culasse, aucune des GT40 ne dépassera la... 5e heure de
course. Quant aux deux MKII : McLaren-Miles abandonnent à la 4e heure (boîte
de vitesses) et Hill-Amon quittent la course trois petites heures après
(embrayage). Et c'est encore Ferrari qui triomphe avec une... 9e victoire dans
la Sarthe !
En 1966, la donne est nouvelle. Ford a triomphé aux nouvelles
24 Heures de Daytona. Dans la foulée, l'ogre US triomphe à Sebring.
Au Mans, pas moins de 8 voitures à moteur 7 litres sont engagées.
Face à l'armada yankee, Ferrari oppose 3 nouveaux modèles P3 et
quatre anciennes 365 P2. Du côté US, la tactique est simple : envoyer
un lièvre pour essoufler et faire craquer l'écurie transalpine et,
avec la loi du nombre, ramasser victorieusement les miettes à la fin de
ce terrible combat. Dan Gurney jouera les piccadors à merveille ! Meilleur
temps aux essais (en 3'30"06 avec une moyenne de 230,103 km/h), il s'empare
du commandement et commence son travail de sape. Irrésistible sur la piste,
il pulvérise de plus de... 7 secondes, l'ancien meilleur tour en course,
établi par Phil Hill lors de l'édition précédente
! Le grand show du Californien - alors associé à Grant - cessera
à 10 heures du matin (joint de culasse). Mais, finalement, tous les protos
Ferrari auront été impuissants à suivre la cadence. La dernière
P3, celle de Bandini-Guichet, s'est éteinte une heure avant sur problème
de transmission. C'est l'hallali ! C'est le triomphe ! Six heures avant l'arrivée,
sur les huit Ford MK II au départ il n'en reste plus que trois, mais les
trois sont... en tête ! Henry Ford II demande à deux de ses équipages
de passer la ligne d'arrivée ensemble et, pour huit petits mètres
seulement, c'est le tandem McLaren-Amon qui arrache glorieusement la mise. - P.P.
1967
Ford conserve sa couronne
Peu après l'arrivée triomphale de 1966, Henry Ford II annonce qu'il remettra son titre en jeu. But avoué : terrasser définitivement dans la Sarthe Ferrari. Pour mieux s'y préparer, Ford fait l'impasse sur les autres épreuves européennes. Pourtant lors des essais d'avril, le géant de Dearborn ne se met guère en évidence. Le modèle Mkll victorieux, légèrement modifié, aligne imperturbablement les tours, bardé d'instruments de mesures alors que la toute nouvelle MkIV règle ses problèmes de tenue de route et de mise au point aérodynamique. On fait dans la discrétion. Au contraire, Ferrari affiche ses nouvelles prétentions. La nouvelle P4 signe des chronos impressionnants. Tout est en place pour le second acte de la revanche. En juin, médias et spectateurs (ils seront estimés à 350 000) accourent pour assister à ce qui deviendra la « plus grande course du siècle ». Pour cette bataille rangée, Ferrari aligne quatre modèles P4, renforcés par trois autres modèles mixtes P3/P4. De son côté, Ford engage quatre nouveaux modèles MkIV et trois versions Mkll-B. Dès les essais qualificatifs, le géant US donne le ton. Bruce McLaren aligne un chrono de 3'24"4 pulvérisant de plus de... 6 secondes, l'ancien record de Dan Gurney ! Lors du départ de la course, les Américaines prennent le commandement. Le cédant une seule fois, lors d'un ravitaillement à la révolutionnaire Chaparral 2F Ainsi, pendant le premier tiers de l'épreuve, trois MkIV dominent la course aux trois premières places. Cinq des sept Ferrari P4 ou P3/P4 périssent dans cette course poursuite. Cependant Parkes-Scarfiotti (4e) restent au contact des Ford. Maranello décide d'attendre maintenant son heure : « A ce rythme, Ford ne tiendra pas la distance ! » Cette stratégie faillit leur réussir. Vers trois heures du matin, au Tertre Rouge, Andretti, alors 2e, tape les fascines et pulvérise avec sa MkIV les deux autres Mkll de Schlesser et de Mc Cluskey. Ferrari revient en 3e position puis s'empare de la seconde, après les problèmes d'embrayage ralentissant l'autre Ford Mkll de McLaren-Donohue. En revanche contre Gurney-Foyt qui caracoleront jusqu'au bout en tête, Parkes-Scarfiotti ne pourront plus rien. Ford aligne une deuxième et sensationnelle victoire, terrassant de manière inexorable et définitive au Mans la firme de Maranello ! - P.P.
1968 et 1969
John Wyer fortifie le mythe
On ne peut raconter l'incroyable défi de Ford dans la Sarthe sans mettre en exergue les deux resplendissantes victoires de 1968 et 1969 des GT40 acquises par le team de John Wyer, sous les couleurs du pétrolier Gulf. Après le sacre et la reconnaissance de l'ère Shelby, Wyer offrit à Ford la consécration du modèle GT40 en remportant le Championnat du Monde des Marques dans la catégorie Sport. Les failles de la voiture, le méticuleux John Wyer les connaissait : un certain manque de puissance et une fragilité de la culasse. Racommodé avec le siège social de Dearborn, il se voit alors confier toute la gestion des modèles GT40 « Sport » : construction, assistance-clients et même... modèles de route. Le ter janvier 1967, la J.W. Engineering est créée. Soutenu par la marque Gulf, Wyer rachète les plans complets d'un projet de GT40, né dans les ateliers d'Alan Mann et en recrute le dessinateur Len Bailey. Cette nouvelle GT40 (qui va devenir la Mirage) se démarque par une définition aérodynamique plus poussée. En 1968, les nouveaux règlements excluent dorénavant les moteurs supérieurs à une cylindrée de trois litres. Or, la GT40 Wyer est équipée d'un V8 4,7 litres. Pourtant, le préparateur anglais exploite à fond les largesses d'un règlement autorisant la possible homologation de moteurs plus gros : à condition de démontrer une production supérieure à 50 exemplaires. Une toute nouvelle version du 4,7 litres apparaît donc, équipée maintenant d'une culasse Gurney-Weslake. Elle développe 410 chevaux. Qualité principale de cette Mirage : elle est légère. Le recours au titane (pièces mécaniques) et à la fibre de verre (carrosserie) en ont abaissé le poids de... 150 kg ! Lors des essais d'avril, Ickx signe le meilleur temps. Pour la course (ayant lieu exceptionnellement en septembre), Wyer installe un nouveau V8 de 4,9 litres encore plus puissant (470 ch). Porsche se présente comme leur grand adversaire avec quatre 908 3 litres renforcées par trois modèles mixtes 907/908 à moteur 2,2 litres. Comme prévu, les Allemandes impriment un train d'enfer. Mais Siffert doit renoncer sûr transmission cassée. Stommelen, retardé par un allumage défaillant, finit troisième. Ford hérite du commandement. Lucien Bianchi et Pedro Rodriguez signent sur la pluie le troisième succès de la marque. En 1969, l'affaire sera encore plus difficile. Ferrari est de retour avec deux 312 P et Porsche revient avec cinq voitures officielles dont trois monstrueuses 917 de 520 chevaux !- Encore une fois, les Germaniques ouvrent les hostilités. Mais, coup du sort, Attwood, sur l'ultime 917 encore en piste, abandonne à 10h53. Dorénavant second à la poursuite de la Porsche 908 d'Herrmann-Larrousse, Jacky Ickx coiffera sur le fil le pilote allemand. A l'issue de cette sensationnelle passe d'armes, le jeune pilote belge offre là à la marque américaine, son historique quatrième succès consécutif ! - P.P.