Ferrari, la firme aux neuf victoires mancelles

Aux 24 heures du Mans, seules quelques marques aux performances exceptionnelles, dans la qualité comme dans la continuité, ont pu marquer les mémoires de générations de passionnés. Depuis 1949, elles se nomment Jaguar, Aston Martin, Ford, Matra, Mercedes, Porsche et... Ferrari. Les réalisations de Maranello ont enthousiasmé les foules. Cela mérite un sacré coup de chapeau

Pour un coup d'essai
un coup de maître!

La toute jeune firme Ferrari ne jouit pas encore d'un grand prestige en 1949. Deux barquettes 166 MM animées par des V12 (1995 m3) affrontent six Aston Martin et quatorze françaises, fiables mais vieillissantes (Talbot, Delahaye, Delage). Au volant d'une Ferrari, Luigi Chinetti, un des plus grands champions des années 30, avec le Britannique Lord Selsdon; les Français Jean Lucas et PL. Dreyfus se partagent le pilotage de l'autre. Les Delahaye dominent longtemps puis Lucas prend la tête à la nuit tombante. Hélas, Dreyfus sort de la piste laissant le commandement à Chinetti qui va le garder définitivement.

Au cours des quatre années suivantes, seules des écuries privées représentent la marque « au cheval cabré »: Presque toutes leurs voitures abandonnent. Seuls Simon et Vincent avec une 340 America en 1952, et les frères Marzotto avec une berlinette 340MM (1953) terminent, les uns et les autres, cinquièmes.

En 1954, viennent trois spiders officiels 375 Plus (V12; 4954 cm3). La 375MM engagée par Chinetti les épaule. Le bolide italien de Rosier et Manzon se maintient longtemps aux avant-postes, mais leur boîte de vitesses lâche. Celui de Gonzales et Trintignant occupe la première place pratiquement pendant toute l'épreuve. Mais la pluie crée d'importants problèmes d'allumage à la grosse mécanique transalpine. Rolt et Hamilton, avec leur Jaguar D, se tiennent à quelques kilomètres pendant des heures sans pouvoir priver Gonzales et Trintignant de la victoire.

Pour l'édition de 1955 se présentent trois Mercedes 300SL, trois Jaguar D, deux Maserati et cinq Ferrari: trois 121LM (6 cyl., 4412 cm3) et deux 750 Monza (4 cyl., 3 litres). Aucune italienne à l'arrivé après une course dominée par les anglaises. En 1956 les 24 Heures se déroulent les 28 et 29 juillet, les travaux de rénovation du circuit le nécessitant. Des trois 625 Le Mans (4 cyl., 2498 cm3), une seule finit mais, aux mains de Gendebien et Trintignant, décroche une belle troisième place. 1957, autre année mémorable grâce à un plateau de choix avec cinq Jaguar D, deux Maserati 450S (Fangio, Moss, Behra, Simon), quatre Aston Martin et six Ferrari. Celles-ci effectuent un départ exceptionnel avec Collins qui mène dès le début mais son moteur cède très rapidement. Une autre, aux mains d'Hawthorn, montre toutes ses qualités, améliorant plusieurs fois le record du circuit en dépassant pour la première fois la moyenne de 200 km/h puis progressant jusqu'à 203,015 km/h! Mais endurance et vitesse pure demeurent incompatibles... La Ferrari de Gendebien et Trintignant se maintient longtemps 2e ou 3e mais, malgré leur sagesse, ils doivent quitter la course. Seule la 3155 de Severi et Levis-Evans termine 5e derrière quatre Jaguar !

La grande
période ferrari

En 1958, pas moins de dix Ferrari 250 Testa Rossa (V12; 2953 cm3), dont trois officielles affrontent cinq Jaguar D et quatre Aston Martin. Le nouveau règlement interdit les cylindrées dépassant trois litres. Curieusement, autant les mécaniques 3442 et 3781 cm3 des jaguar antérieures disposaient d'une belle longévité, autant les nouveaux blocs 2990 cm3 demeurent fragiles.


1958. Ferrari 250 TR N° 14. P. Hill - O. Gendebien, premiers de l'épreuve

Après le départ en trombe de Stirling Moss avec son Aston Martin, les Ferrari contrôlent les opérations. Durant toute l'épreuve la pluie n'arrête guère, provoquant nombre d'abandons et gâchant le spectacle. Malgré cela Gendebien et Phil Hill (250TR) l'emportent, après avoir mené 22 heures d'affilée, loin devant l'Aston Martin des frères Whitehead.

Pour 1959 les forces en présence semblent plus équilibrées avec six Ferrari 250TR, deux Lister-Jaguar et quatre Aston Martin DBR1/300. Chacune des deux grandes firmes domine à son tour. Moss (DBR1) mène toute la première heure puis Behra et Gurney (250TR) occupent la tête pendant cinq heures. Ils disparaissent laissant Salvadori-Shelby (Aston Martin) leur succéder. Ensuite Gendebien et P. Hill (250TR) dominent jusqu'à près de midi. Leur élimination, due à une surchauffe du moteur, laisse les Aston Martin de Salvadori-Shelby et Trintignant-Frère réaliser le doublé. Aucune 250TR à l'arrivée mais les 25OGT sauvent l'honneur en finissant de la 3e à la 6e place! Les quatre Testa Rossa officielles disposent de six vitesses en 1960. Le NART en engage une datant de 1959. L'opposition vient de deux Aston Martin DBR1 et de trois Maserati Tipo 61 très véloces puisque l'une d'elles atteindra, en pointe, 273 km/h! La domination des bolides rouges ne souffre aucune contestation puisque, une bonne partie de l'épreuve, ils occupent les trois premières positions. Finalement, Gendebien et Frère (TR60) l'emportent devant Pilette-P Rodriguez (TR60), Jim Clark-Salvadori (Aston Martin) et 4e Loustel associé au Manceau Tavano (250GT) qui enlèvent la catégorie GT.

Progressivement l'influence de la positon "centrale arrière" utilisée en Formule 1 déteint sur l'endurance. Ainsi une toute nouvelle Ferrari 246SP, splendide, animée d'un six cylindres de 2,4 litres, prend le départ en 1961. Les Testa Rossa reçoivent des pare-brises galbés, prolongés sur les côtés jusqu'à l'arrière de la carrosserie, ce qui affine considérablement leur aérodynamisme.

En course, après un festival de 22 heures, la 250TR 61 de Pedro et Ricardo Rodriquez dont la situation oscille entre la 1ère et la 3e place, voit son moteur rendre l'âme. La 246SP de Ginther-Von Trips abandonne à la 16e heure alors qu'elle occupe la 2e position. Cela laisse les deux TR61 de Gendebien-P. Hill et Mairesse-Parkes réaliser un beau doublé. Domination facilitée par une bien modeste opposition : deux Aston Martin DBR1 vieillissantes et deux Maserati Tipo 63 dont l'une termine quatrième.


1962. Ferrari 330 LM. P. Hill - O. Gendebien, les gagnants.

L'édition de 1962 fournit une concurrence toujours aussi faible avec trois Maserati 151 et l'Aston Martin P212 dont la ligne est admirable, aux mains de Graham Hill et R. Ginther. Hélas cette dernière souffre d'être seule et trop neuve. Aux Ferrari officielles : deux 330LM (V12; 3967 cm3), la 246SP des frères Rodriguez et une 268SP, se joignent deux TR privées. Rapide, l'Aston Martin se bat vaillamment mais disparaît après six heures de lutte. Les Rodriguez mènent longtemps mais leur transmission se rompt. 2e à six heures du matin la 268SP s'arrête. O. Gendebien et E. Hill l'emportent avec leur 330LM, dernière victoire obtenue avec un "moteur avant". Deux splendides GTO terminent juste derrière.

En 1963 trois nouveaux modèles officiels de type 250P (V12 ; 3 litres; 300 cv à 7800 tr/mn) se trouvent aux côtés de trois berlinettes 330LM privées. Seule adversaire notable, la Maserati 5 litres Tipo 151 de Simon-Cassner mène pendant les deux premières heures avant que sa transmission cède. Surtess et Mairesse (250P) tiennent le commandement jusqu' à la 18e heure après avoir amélioré le record du tour avec 207,714 km/h.

Peu après, un incendie les immobilise définitivement et ils laissent alors la victoire à Scarfiotti et Bandini (250P). Grâce aux GT, six Ferrari aux six premières places !

Les duels
ferrari-ford

964 marque le début d'une nouvelle ère puisque le géant Ford débarque en endurance. La firme U.S. lance trois modèles GT40 (V8; 4,2 litres) avec de réels champions P. Hill, McLaren, Ginther, Gregory, Schlesser, Attwood. Ayant prévu le danger, Ferrari a recherché la puissance avec notamment trois 330P (V12; 4litres).

Schlesser et Attwood occupent la 2e place après quatre heures de course mais leur boîte de vitesses va lâcher. Guichet et Vaccarella (Ferrari 275P) mènent toute la seconde moitié de l'épreuve. Les suivent à l'arrivée, Bonnier-G. Hill et Bandini-Surtess avec des 330P puis la "Cobra Ford Daytona" qui mate les GTO. Tiens, tiens !

Chez Ford (amélioration de la puissance ne passe pas par des mécaniques sophistiquées ni des hauts régimes; on privilégie volontiers l'élévation de la cylindrée. En 1965 Detroit déplace deux MKII (V8; 7litres) et trois GT40 (V8; 4,7litres). Pour Maranello : deux 330P2 (V12; 4 litres, 410 cv) et une 275P2 (V12; 3,3 litres, 4 ACT, 350 cv à 8500 tr/mn). Au début les MKII font merveille mais P. Hill et Amon, deuxièmes après une heure de course, abandonnent. McLaren et Miles, en tête un bon moment, doivent s'arrêter définitivement. Les GT 40 ne constituent aucune menace sérieuse ... mais les Ferrari officielles disparaissent toutes. Heureusement pour Ferrari, au départ se trouvaient aussi cinq 275LM (V12; 3,3 litres, 320 cv) et deux 365P2 (V12; 4,41itres, 380 cv) privées. Elles sauvent l'honneur: 1er Gregory-Rindt (NART) devant une autre 275LM, aux mains de Dumay-Gosselin.

De 1958 à 1965, huit courses, sept victoires Ferrari dont six consécutives!... mais le ciel s'obscurcit. Les Ford MKII disposent d'une base saine, d'une mécanique efficace, seuls les freins pêchent entraînant d'importants problèmes d'embrayage ou de boîte de vitesses. En 1966 cette faiblesse a disparu. Chez Ferrari, ingénieurs et techniciens ont beaucoup travaillé et au printemps naît l'une des voitures les plus belles vues au Mans, la 330P3. Elle est dotée d'un V12 de 4litres (420 cv à 8200 tr/mn) qui dispose de l'injection Lucas. Elle pèse 100 kg de moins que sa devancière, la 330P2. En début de saison, Ford l'emporte à Daytona et Sebring, Ferrari à Monza et Francorchamps ; les 24 Heures viennent à point pour les départager. Ainsi huit MKII et cinq GT40 s'opposent à huit Ferrari trois 330P3, une 275LM et quatre 365P2.

Les italiennes restent hors du coup, seules les P3 de Ginther-P Rodriguez (4e puis abandon à la 11e heure) et Scarfiotti-Parkes (5e puis retrait à la 9e heure) auront fait illusion. Triplé des MKII devant quatre Porsche 2 litres. 1967, encore un formidable millésime! Ferrari enlève les trois premières places à Daytona, mais à Sebring la MKIV, la nouvelle arme Ford domine. Pas d'autre confrontation avant Le Mans. Chacun des deux grands favoris dispose d'atouts nouveaux: MKIV et MKIIB pour les Américains, 330P4 (V12; 4litres, 3 soupapes par cylindre; 450 cv à 8000 tr/mn) summum de la beauté pour nombre de Ferraristes ! Le combat semble plus équilibré qu'en 1966 puisque quatre MKIV et trois GT40 font face à quatre P4, trois 330P3/P4 et une 365P2.

Les deux Lola-Aston Martin 5 litres, les deux Mirage-Ford et les deux Chaparral 2F se retirent sans briller, hormis une 2F encore 3e à cinq heures du matin mais elle abandonne ensuite. Pendant toute l'épreuve au moins une MKIV occupe la tête. Derrière, une de ses soeurs et deux P4 bataillent durement. La parade anti-Ford existerait-elle? Oui mais elle ne fonctionne pas encore parfaitement car à l'arrivée: 1er Gurney-Foyt (MKIV), 2e Scarfotti-Parkes (P4), 3e Mairesse-Beurlys (P4), 4e Mc Laren-Donohue (MKFV).

Période de transition

En raison des "événements de mai" les 24 Heures 1968 se déroulent fin septembre. Des quatre 275LM privées au départ, une seule termine (7e)... loin derrière la GT40 victorieuse de P. Rodriguez-L. Bianchi. L'édition 1969 vaut surtout par le duel mémorable que se livrent Ickx-Oliver (Ford GT40) et Herrmann-Larrousse (Porsche 908) qui se termine à l'avantage des premiers pour une centaine de mètres! Ils n'auront guère été inquiétés par les 312P officielles qui disparaissent assez rapidement. Une "vieille" 275LM privée finit 8e.

Ferrari 512 et porsche 917

En 1970 la course se résume à une confrontation entre huit Porsche 917 (12 cyl. à plat, 4,5 ou 5 litres) et onze Ferrari 5125 (V12; 5 litres, 550 cv à 8500 tr/mn) dont huit "longues queues': La compétition tourne à l'hécatombe avec 7 voitures à l'arrivée sur les 51 au départ. Seules deux 512S finissent et sauvent l'honneur (4e et 5e). Domination des 917 et Attwood-Herrmann l'emportent.

L'épreuve de 1971 ressemble à la précédente avec sept Porsche 917 et neuf Ferrari dont huit nouvelles 512M (5 litres). La Matra-Simca 660 de Beltoise et Amon (3 litres), beaucoup moins puissante que les allemandes et les italiennes fait sensation puisqu'elle pointe 3e à la 17e heure mais abandonne peu après. Une seule Ferrari, celle de Vaccarella-Juncadella, possède, un moment, l'honneur de mener. Les Porsche domptent les 512M qui obtiennent toutefois les 3e (Posey-Adamowicz) et 4e places (Craft-Wier).

Chez Ferrari seules des GT participent à l'édition 1972. Loin derrière le doublé Matra, les jolies 365GT B4 enlèvent les places d'honneur de la 5e à la 9e.

Le dernier grand duel avec des ferrari

Dans le but de contrer les Matra-Simca 670 (V12; 3 litres) en 1973, la Scuderia engage trois modèles 312PB (12 cyl. à plat, 3 litres) "longues queues" après des essais d'endurance poussés à Monza. Les 312PB mènent la vie dure aux bleues : Reutemann et Schenken mènent pendant cinq heures et disparaissent à mi-course. Ickx et Redmann demeurent aux avant-postes, occupent la tête de la 11e à la 17e heure, puis rétrogradent et s'arrêtent. Merzario et Pace sur la dernière 312PB ne peuvent que terminer juste derrière la 670B de Pescarolo-Larrousse qui l'emporte.


1973. Ferrari 312 PB. Ickx-Redman. Abandon 24ème heure, panne moteur.