Au-delà
des différents noms officiels qu'il reçut au fil des années
et des diverses formules réglementaires auxquelles il fut lié, le
championnat des marques ou des constructeurs fut pendant longtemps le seul parallèle
valable à établir avec celui des conducteurs. Compétitions
spectaculaires, entre des marques désormais entrées dans l'Histoire
et la légende, duels riches en suspense entre des champions du volant,
mais aussi tragédies sanglantes restent indissolublement liés à
ce championnat.
En trente et un ans d'histoire tourmentée et fascinante,
le championnat a mis en présence des petits constructeurs et des colosses
de l'industrie européenne et américaine : Ferrari, Mercedes, Aston
Martin, Jaguar, Porsche, Ford, Simca, Matra, Alfa Romeo, Maserati, Lancia, Cobra,
Lola, Renault, Abarth. Dans un premier temps, alors que les computers et les simulateurs
étaient du domaine de la science-fiction, il joua un rôle essentiel
dans le développement de l'automobile pour : l'aérodynamique, les
pneumatiques, l'installation électrique et les différents accessoires
qui y sont liés, les freins et les suspensions.
Le championnat est né
en 1953, trois ans après celui de la Formule 1, s'inspirant des courses
des années 20 et 30 et notamment de celle des 24 Heures du Mans. L'intention
était la même contribuer à la relance de l'industrie anéantie
par la guerre, stimuler le progrès technique en même temps que la
curiosité du public. L'idée de départ était de faire
courir des voitures semblables ou proches de celles de série. Si les trois
premiers objectifs furent rapidement atteints, le quatrième - utopique
et difficile à mettre en pratique - finit par provoquer des polémiques
cycliques et des compromis de règlement dommageables à la clarté
de l'épreuve. Le championnat a connu de ce fait des périodes de
domination de telle ou telle marque et des hauts et des bas. Sa réputation
s'est progressivement amenuisée tant en raison de l'irrésistible
ascension des grands prix de Formule 1 que du fait de l'accroissement des coûts.
D'abord « mondial », puis « international », de nouveau
« mondial », aujourd'hui associé à l'étiquette
« endurance », ce championnat a souvent désorienté le
public en mélangeant des voitures très diverses par l'aspect et
les performances, mais surtout en modifiant sans cesse un règlement déjà
très obscur. Sous des appellations proches, se sont par exemple affrontées
des voitures très différentes. De 1953 à 1961, le championnat
des marques était réservé aux Sport ; de 1962 à 1965
aux Grand Tourisme (avec l'attribution de trois titres : jusqu'à 1 000,
jusqu'à 2 000 et au-delà de 2 000 cm3) ; en 1966, aux
Sport ex-Grand Tourisme; de 1967 à 1971, aux Sport et aux Prototypes ;
de 1972 à 1975, aux Sport ; de 1976 à 1981, aux Silhouette (avec
deux éditions d'un championnat parallèle pour les Sport). Depuis
1982, il est ouvert aux machines du Groupe C correspondant en pratique à
des Prototypes.
De 1953 à 1983, on a disputé 288 épreuves
sur quelque 500 000 km. Ferrari et Porsche sont les marques qui ont conquis le
plus de titres et de victoires et qui ont participé le plus assidûment
à ces courses. Le premier y a renoncé en 1974 car il n'avait pas
les moyens de soutenir son effort sur deux tableaux, et se consacra exclusivement
à la Formule 1. Porsche a continué, affirmant une domination totale
depuis quelques années.
L'histoire de ce championnat commence le 8 mars
1953, avec les 12 Heures de Sebring. Sept courses, parmi lesquelles celle des
Mille Miles et la Carrera Panaméricaine, virent le succès final
de Ferrari devant Jaguar et Aston Martin. Les voitures avaient le moteur à
l'avant, des roues arrière motrices, un capot très long, des pneus
étroits. Au Mans, Jaguar surprit les techniciens en utilisant des freins
à disque. Les pilotes s'appelaient alors Fangio, Farina, Villoresi, Taruffi,
Castellotti, Hawthorn, Collins, Behra, Rosier, Trintignant, etc. En 1954, Ferrari
l'emporte de nouveau après une lutte avec Lancia, Osca et Jaguar, les Français
se cantonnant alors dans la quête des records, ce qui vaudra à Panhard
de nombreux lauriers dans le domaine de l'indice de performance. A cette époque,
il n'y avait pas de limite de cylindrée. Ferrari alignait alors des voitures
de 3 et 5 litres.
En 1955, on crut que le championnat et même le sport
automobile dans son ensemble allaient disparaître. Ce fut l'année
de la tragédie du Mans : dans la ligne droite des tribunes, Mike Hawthorn
décida d'arrêter sa Jaguar au stand. L'Anglais freina et coupa la
route de l'Austin Healey de Macklin sur laquelle se jeta, à 250 km/h, la
Mercedes de Levegh. La voiture s'envola, le moteur se détacha et percuta
la foule. On comptera quatre-vingts morts dont le pilote. La course continua pourtant,
remportée justement par Hawthorn. L'émotion provoquée par
cet accident fut telle qu'on envisagea d'interdire toutes les courses. C'est ce
que fit provisoirement le ministre français de l'Intérieur, Bourgès-Maunoury,
et définitivement le gouvernement helvétique.
Le titre mondial
revient à Mercedes, qui l'emporte d'un point sur Ferrari grâce surtout
à Stirling Moss. A la suite de l'accident du Mans et en dépit du
succès de la 300 SLR, une huit cylindres de 2900 cm3 dérivée
de celle de Formule 1, Mercedes décide de se retirer. C'est l'occasion
pour Ferrari de retrouver la première place et d'enlever le championnat
pendant trois saisons consécutives. En 1956 et 1957, elle l'emporte sur
Maserati au terme d'un duel passionnant. En 1957, une nouvelle tragédie
secoue le monde de la course : la Ferrari du marquis De Portago et du copilote
Nelsen fait une sortie de route et fauche un groupe de spectateurs. L'équipage
trouve la mort, ainsi que dix personnes. L'accident sonne le glas des Mille Miles
remportés par Taruffi.
En 1958, Ferrari n'eut pas de rivaux : quatre
victoires sur six courses (les deux autres revenant à Aston Martin). C'est
alors que devint célèbre la Testa Rossa, magnifique 3 litres de
300 chevaux. Le règlement limitait alors la cylindrée à 3
000 cm3, mettant hors jeu les grosses Maserati et Jaguar. Dans les
classements commençait à apparaître une certaine Porsche,
marque qui produisait de petites voitures de sport.
En 1959, Aston Martin ouvrit
une parenthèse dans l'ère Ferrari. La marque anglaise remporta trois
courses sur cinq, l'italienne n'en remporta qu'une. Porsche émergeait en
obtenant son premier succès en championnat avec la Targa Florio, le premier
d'une longue série.
Il fut suivi de l'exploit de Moss au Nürburgring,
auteur d'une poursuite épique, et qui « brûla » la Ferrari
de Gendebien et Brooks. Puis Aston Martin se retira et Ferrari eut à nouveau
le champ libre. La marque fut championne en 1960, devant une Porsche, en continuelle
ascension, et une Maserati, une Type 61 aux prestations enthousiasmantes mais
à la fiabilité précaire. Ferrari l'emporta encore l'année
suivante alors que les voitures Sport allaient céder le pas aux Grand Tourisme
réparties en trois classes de cylindrée. Ce fut une période
de transition pour Ferrari entre ces 3 litres V12 et la Dino 246, la première
Ferrari à moteur arrière. Phil Hill, von Trips, Bandini et Gendebien
n'avaient alors rien à craindre des Porsche, passées entretemps
à 2000 cm3, ni des fragiles Ferrari.
La voie était
libre en 1962 pour les Grand Tourisme qui, dans l'esprit officiel du sport automobile,
devaient être des modèles de série. Mais les Sport, chassées
par la porte, rentrèrent par la fenêtre ; c'est ainsi que naquit
la catégorie hybride des GT prototypes ou expérimentales, voitures
devant être construites à 100 exemplaires, au pare-brise un peu plus
haut et à l'aménagement intérieur plus complet que celui
des Sport. Ferrari utilisa ses moteurs V6, V8 et V12 disposés à
l'avant ou à l'arrière, des cylindrées de 2 à 4 litres
(la barre avait été relevée). Ferrari l'emporta dans sa classe
(plus de 2000 cm3), les autres titres allant à Porsche (2000
cm3) et à Abarth (1000 cm3). Il en fut de même
en 1963, année où la confusion régna encore davantage dans
le championnat : le calendrier comprenant également pour les GT des rallyes
et des courses de côtes, si bien que l'attention finit par se porter surtout
sur les prototypes, domaine où Ferrari domina avec la 250 P, une voiture
d'avant-garde (3 000 cm3, V12, suspension à roues indépendantes,
moteur arrière). A la fin d'une saison glorieuse pour Scarfiotti, Surtees
et Bandini, sortit la 250 Le Mans, version de série du prototype.
Cette
marque qui gagnait toujours était devenue une entreprise, certes de petite
taille, mais d'envergure légendaire, et elle donnait bien du mal à
tous ceux qui, de ce fait, voulaient en vain se l'offrir. Ce fut le cas de Ford
qui, le 20 mai 1963, fut à deux doigts d'acquérir la marque : un
revirement in extremis d'Enzo Ferrari fit échouer l'affaire, et Henry Ford
jura de se venger. Un duel à la David et Goliath s'engagea en 1964. Aux
1 000 Kilomètres du Nürburgring, apparut une berlinette Ford appelée
GT, dérivée d'une voiture anglaise, la Lola, et animée par
un moteur V8. Le championnat était alors réservé aux prototypes
GT, et Ferrari ne le laissa pas échapper. Porsche domina dans la classe
des 2 litres ; mais les Ford marchaient déjà très fort, en
particulier l'A.C. Cobra, liée au grand constructeur.
C'est justement
la Cobra qui devait s'affirmer dans le tournoi par marque, de nouveau réservé
aux GT, subdivisé en seulement trois classes. Mais Ferrari l'emporta en
Prototype, catégorie encore la plus prisée.
On assista alors
à une bataille passionnante entre l'Europe et les États-Unis, entre
Ferrari - alors indépendant, et pas encore lié à Fiat - et
Ford, avec une voiture d'avant-garde, la Chaparral du Texan Jim Hall, qui devait
adopter un moteur Chrysler (ou plutôt General Motors), à transmission
automatique.
La marque italienne présenta les prototypes 330 P2 de 3
300 et 4 000 cm3, Ford la GT 40 (châssis semi-monocoque, 4 200
cm3), la logistique se trouvant en Grande-Bretagne. Les Américains
voulaient démontrer qu'il était possible de battre Ferrari, la «
reine du sport », avec des moteurs de série glonflés qui permettaient
des performances élevées. Mais les 24 Heures du Mans furent dominées
une nouvelle fois par Ferrari, la 250 Le Mans triomphant contre toute attente,
les officielles se retirant en même temps que les monstres de 7 litres mis
en piste par Detroit.
Mais Goliath ne devait pas s'en tenir à 1966,
et finirait par battre Ferrari. Après une série de courses incertaines,
Le Mans arriva, Ferrari étant en tête avec 36 points, et Ford deuxième
avec 26. Le vainqueur serait celui qui l'emporterait en France. Cette fois, les
lourdes GT Mk II de près de 500 chevaux eurent le dessus trois voitures
aux trois premières places avec McLaren-Amon, Miles-Hulme et Bucknum-Hatchesson.
Les 330 P3 de Scarfiotti, Rodriguez et Bandini étaient KO, Ford l'emportait
pour 2 points. Ferrari reprit le titre en 1967, mais Ford gagna au Mans, épreuve
reine qui valait alors une saison. Porsche continuait sa progression vers les
grosses cylindrées, alors qu'apparaissaient sur la scène Alfa Romeo
avec une V8 appelée 33, Matra avec ses berlinettes 630 à moteur
2 litres BRM, et Renault avec une Alpine de... 1 470 cm3, qui tourna
sur le circuit du Mans à plus de 200 km/h de moyenne !
Les règles
du jeu changèrent en 1968. Le championnat était désormais
ouvert aux Sport jusqu'à 5 000 cm3 et aux Prototypes jusqu'à
3 litres. Ferrari se retira, et Ford l'emporta sur Porsche, qui présenta
sa 908/3000. Alfa Romeo engagea une 33 de 2 500 cm3. A Watkins Glen,
on renonça pour la première fois au départ traditionnel du
type Le Mans, les voitures étant disposées sur une grille de départ,
comme en Formule 1 - disposition en épi -, la course de pilotes vers leur
voiture devenant très dangereuse compte tenu du niveau d'accélération
des machines.
C'est en 1969 que commence l'ère Porsche. La marque allemande
conquiert son premier titre absolu devant Ford et Lola. La 908 remporta sept victoires
sur sept courses, avec le tandem royal Siffert-Redman, mais la voiture qui impressionna
le plus fut la 917 Sport, une berlinette qui devait faire date. Elle débuta
à Spa, avec un douze cylindres boxer de 540 chevaux. D'abord, elle ne plut
pas, mais les pilotes comprirent vite qu'ils avaient là une arme imbattable.
La suite le confirma. La saison vit le premier succès du Belge Jacky Ickx
au Mans, les débuts de la 33 de 3 litres, et ceux, malheureux, d'un prototype
Ferrari 312 P.
En 1970 et 1971, on retrouve Porsche, Stuttgart repoussant l'attaque
de Maranello et de la 512 S, une Sport de 5 litres trop lourde et peu aérodynamique.
Porsche s'amusa même à présenter à la Targa Florio
une version spéciale de la 908 en forme de savonnette, qu'on baptisa bien
vite la « bicyclette ». En 1971, Ferrari se consacra au développement
d'une voiture de 3 litres pour le championnat suivant, axé sur les Sport
3 000. Porsche ne connut pas de problème, même si Alfa Romeo porta
la contradiction, l'emportant trois fois.
En 1972, ce fut le chant du cygne
pour Ferrari. La 917 prit sa retraite, et Porsche se retira du championnat. Personne
ne put faire d'ombre à Ferrari, ni Alfa Romeo, ni Matra-Simca, en dépit
de la victoire de celle-ci au Mans grâce à la 670 de Graham Hill
et de Henri Pescarolo - qui sauvait ainsi l'honneur national et empêchait
Ferrari de remporter toutes les courses du championnat. L'éclatante revanche
sera pour l'année suivante.
En 1973, le bleu va l'emporter, grâce
à cette 670 miracle, à châssis-coque et moteur autoporteur,
un V12 qui sera également monté, mais avec moins de réussite,
sur les Formule 1. Ferrari n'est pas à la hauteur, le développement
de la 312 P étant très insuffisant, Maranello, comme Alfa Romeo
pâtissant de l'agitation syndicale en Italie. Il faut attendre la dernière
épreuve, à Watkins Glen, pour que soit assurée la victoire
de la 670 de PescaroloLarrousse, qui se place devant les spiders rouges de Ickx
et de Merzario.
En 1974, la crise pétrolière aidant, Ferrari
abandonne le championnat des marques pour se consacrer exclusivement à
la Formule 1. La domination des Matra-Simca est totale, avec neuf victoires sur
dix épreuves ; une suprématie telle que Jean-Luc Lagardère,
le patron, décide de se retirer de la compétition automobile à
la fin de l'année ; une décision qui déclenche une polémique
passionnée, mais qui n'est sans doute pas sans rapport avec le déclin
d'une formule de course entravée par la crise énergétique
qui a entraîné la suppression de la course de Daytona, et la réduction
de la distance dans plusieurs autres. La relève française sera assurée,
mais avec moins de bonheur, par Renault, avec un V6 qui fera beaucoup parler de
lui par la suite.
En 1975, c'est la dernière année des Sport
3000. Alfa Romeo en profite, et conquiert le titre avec sept victoires sur neuf
courses. Mais la Porsche Carrera Turbo se montre inquiétante, et la Renault
A 442 Turbo fait comprendre qu'il faudra désormais compter avec elle, puisqu'elle
l'emporte aux 1 000 Kilomètres de Mugello avec Jabouille et Larrousse.
En
1976, l'ère Porsche reprend, dans le championnat des Silhouette et dans
celui des voitures Sport aux courses plus courtes (le minimum pour le championnat
des marques était de 1 000 km, ou 6 heures). La marque allemande gagne
le premier avec la 935 T, et le second avec la 936 T. La formule des Silhouette
était simple : aspect extérieur identique à celui des voitures
de série, mais profondes modifications mécaniques autorisées.
Une formule passablement dévaluée et qui n'intéressa guère
le public, qui resta passionné par les Prototypes, bien plus spectaculaires.
Porsche l'emporta chez les Silhouette, et Alfa Romeo en Sport. Renault, qui avait
consacré tous ses efforts au Mans, et s'était associé à
l'Américain Mirage, échoua devant une « vieille » Porsche
; la revanche viendra l'année suivante, en même temps que la décision
de Renault d'abandonner l'endurance. Une tradition bien française !
En
1978-1979, le championnat est limité aux Silhouette, et voit la domination
des Porsche, tandis que pointe Lancia avec une Montecarlo Turbo (Silverstone,
9 mai 1979). En marge du championnat, le « petit » Français
Rondeau, garagiste manceau, s'applique à démontrer qu'on peut encore
gagner au Mans ; la consécration viendra l'année suivante, dans
la passion populaire mais l'indifférence des constructeurs nationaux. En
1980, Lancia s'impose, tant par la qualité de ses voitures et de son team
(avec Alboreto et Patrese) que par une utilisation savante du règlement.
Lancia
l'emporte encore en 1981, dans un championnat devenu « d'endurance »,
mais Porsche gagne au Mans devant une Rondeau, toujours aussi seule, en dépit
de la présence discrète des WM au PRV6 turbocompressé.
En
1982, Porsche revient au sommet avec la 956 de Groupe C, voiture qui remporte
ensuite toutes les courses du championnat en 1983, malgré Lancia qui engage
une voiture à moteur Ferrari bi-turbo. La domination de la 956 ne se démentira
pas en 1984.
Année après année, l'intérêt
pour ce championnat des marques décroît (en dépit de l'annonce
de progrès spectaculaires dans les domaines de la consommation et de l'électronique)
au profit de la Formule 1 qui mobilise tous les efforts. Il est loin, l'âge
d'or des années 50 et 60, au point qu'une course comme Le Mans semble même
menacée ; prions saint Christophe...
![]() | Ferrari 330 P2 - 1965 (I). En 1965, Ferrari engagea cette voiture propulsée par deux versions du V12 : une 3967 cm3 (330 P2) de 410 ch à 8200 tr/mn, et une 3286 cm3 (275 P2) de 350 ch à 8500 tr/mn. |