1980 : Rondeau

Le coup de tonnerre Rondeau

En 1980, Jean Rondeau était le premier - et dernier - pilote-constructeur à s'imposer dans la Sarthe. Équipier de l'artisan manceau, Jean-Pierre Jaussaud se souvient de cette victoire tonitruante obtenue lors d'une édition marquée par l'orage et la pluie.

Au volant de leur Rondeau M 379 à moteur Ford, Jean Rondeau et Jean-Pierre Jaussaud ont douché l'armada des Porsche pour signer un succès historique lors des 24 Heures du Mans 1980.

D'un de nos envoyés spéciaux au Mans Philippe JOUBIN

" Q UAND je revois la voiture, c'est drôle... parce que, elle, elle n'a pas changé ! " Jean-Pierre Jaussaud part dans un petit rire aux relents d'une nostalgie mal contenue. Étriqué dans son costume sombre, il est passé au Mans mercredi soir, couleur deuil, pour revivre des souvenirs forts qui jamais ne seront morts.

Vingt ans après... le cheveu est devenu rare, la fine moustache a le ton ciel de neige, mais l'oeil reste pétillant et la silhouette affûtée. Nul doute que l'ancien mousquetaire ne refuserait pas une estocade de plus. Mais ce jour était juste celui de la mémoire en inaugurant l'exposition consacrée au vingtième anniversaire d'une performance aussi inouïe qu'incongrue (*).

En 1980, Jean-Pierre Jaussaud parvenait à imposer le noir prototype portant le nom de son coéquipier employeur et ami, Jean Rondeau, l'enfant du pays, selon l'expression consacrée, premier constructeur-pilote surtout à emporter les 24 Heures. " C'était hier ", concède Jaussaud avant de dérouler le fil de sa mémoire. C'était au temps où Porsche et Ickx étaient pourtant devenus plus sarthois qu'un natif de Louplande ; c'était au temps où le coeur à l'ouvrage valait encore plus parfois que l'argent pour l'ouvrir.

Qualifiés de justesse

Néanmoins, en prévision de 1980, Jean Rondeau avait su trouver les subsides nécessaires à bâtir un projet cohérent après quelques prestations remarquées, tant sous le nom d'Inaltera que le sien propre. Un châssis d'une grande intelligence, propulsé par le fameux V 8 Ford-Cosworth, duquel les techniciens avait réussi à réprimer les inévitables vibrations dans des proportions tolérables, un ensemble parfaitement fiabilisé, une fine équipe de pilotes Jaussaud-Rondeau donc, mais aussi Pescarolo-Ragnotti sur une deuxième voiture, les frères Martin et le Britannique Spice sur la troisième. En ce mois de juin 1980, tout pourtant ne démarre pas comme escompté. Des soucis techniques importants bloquent la M 379 de Rondeau-Jaussaud au stand qui, une demi-heure avant la fin des essais, n'est toujours pas qualifiée... Finalement, elle s'élancera de la 3e ligne, alors que le duo Pescarolo- Ragnotti a conquis la pole devant la Porsche d'Ickx-Joest et les énormes 935 de l'écurie Barbour.

" La voiture était fantastique, se souvient Jaussaud. Un vrai kart, précise, agréable à piloter et pas fatigante. " Et puis les conditions météo détestables leur permettent de compenser le léger déficit en puissance concédé aux monstres turbocompressés en provenance de Stuttgart. Profitant de problèmes de courroie rencontrés par Ickx et, malgré un accrochage avec une Chevron en perdition pour Rondeau, ses deux voitures de pointe occupent les premières places à mi-course. Il faut tenir, tenir, ce que ne parviennent pas à faire Pescarolo-Ragnotti, contraints à l'abandon, boîte de vitesses cassée.

Jaussaud piégé

Il est 13 heures. L'écurie Rondeau n'ose y croire. " Graduellement, nous étions arrivés à cette position de leader, continue Jaussaud. A nous, de pas faire d'ânerie. " Mais le pinacle voisine les enfers. " Trois quarts d'heure avant l'arrivée, tout est clair. Je suis en pneus lisses, je sors d'Arnage, mais un commissaire saute depuis le rail et se précipite sur la piste. Je ralentis en me disant qu'il y a un pataquès derrière. II m'a sauvé en fait. Je passe en seconde, j'arrive et un "lac" s'étale devant moi ! Immédiatement, la voiture part en travers. Je glisse sur 250 m et je me dis : " Ça y est, c'est le rail ! " J'arrive sur l'herbe et, au damier moment, je tourne le volant à droite pour lui imprimer un tête-à-queue complet. Elle le fait et s'arrête parallèle au rail ! Mais le moteur cale alors que, depuis le matin, on avait de sacrés problèmes à redémarrer. J'actionne le démarreur : Rien. J'attends trente secondes - les plus longues de ma vie - et elle accepte ! Je prends alors la décision de continuer avec les sticks, car il n'était pas certain que la voiture accepte de repartir une fois 'arrêtée. Je sais que c'est sec sur la ligne droite, mais que l'orage a tout détrempé ailleurs. Finalement, Ickx est resté un tour et demi derrière... ce qui était sympa. D'autant plus que lui, deuxième, cela mettait notre victoire en valeur ! "

Et quel succès : un triomphe. " Le Jour de gloire est arrivé ", titre la presse locale, réception à l'Élysée, parade dans les rues du Mans... Et Rondeau de lâcher " pour Porsche, ce titre représentait quelques ventes supplémentaires; pour nous, ilconditionne notre survie ".

Jamais plus pourtant il n'y parviendra, pas plus non plus qu'Yves Courage, Manceau lui aussi, qui releva le flambeau de l'artisan, en vain. Courage n'a plus d'équipe officielle. Jaussaud enseigne à Pont-L'Évêque. Quant à Rondeau, il a quitté son ami en route, lors d'un accident de la circulation, le 27 décembre 1985 : " Son grand tort est de ne plus être là. Je lui en veux. "

(*) Exposition consacrée à cette victoire dans le Village des 24 Heures, sur le stand du Conseil général de la. Sarthe.

Photo et propos recueuillis dans le journal L'Equipe.